Entreprises collectives : les enjeux sociopolitiques et territoriaux de la coopération et de l’économie sociale
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Louis Favreau. Presses de l’université du Québec, 2008, 326 p.
Plus qu’une synthèse de vingt ans de recherche et d’engagement, cet ouvrage est l’occasion pour Louis Favreau, sociologue, professeur à l’université du Québec en Outaouais et directeur de la chaire de recherche en développement des communautés (CDR), de dresser un bilan de la dernière décennie de la coopération et de l’économie sociale québécoises.
Des origines communes
Issues d’une même origine, dans les mouvements sociaux et dans la dynamique sociale qui a permis de passer de la condition prolétarienne à la condition ouvrière, puis à la condition salariale (p. 25), ces deux familles d’entreprises collectives partagent un concept fédérateur unissant les initiatives sociales, populaires, qui cherchent à répondre à des besoins sociaux (la « nécessité », la défaillance de l’économie dominante), mais aussi à mobiliser des groupes sociaux autour d’une identité collective (francophone au Québec), dans une perspective de changement social (démocratisation et solidarisation de l’économie).
Des histoires et des enjeux théoriques différents
L’économie coopérative est le fruit d’une histoire de cent cinquante ans, alors que l’économie associative, réunie dans le Chantier d’économie sociale, est née en 1996 lors du Sommet sur l’économie et l’emploi, avec l’entrée en économie de certains mouvements communautaires urbains (alors que les associations non économiques se retrouvent dans l’Action communautaire autonome). Si cette économie associative a porté de multiples initiatives sociales, l’auteur estime que la relève est prise aujourd’hui par le mouvement coopératif, qui soutient des formes nouvelles : coopératives de développement régional, de santé, d’énergies renouvelables, de multiservices, de solidarité…, pour répondre aux nouveaux enjeux territoriaux, alimentaires, énergétiques… Sans doute est-il très optimiste sur la résorption des problématiques d’emploi (p. 178), mais il montre que la résolution des inégalités passe par la construction d’un nouveau modèle de développement qui ne peut se limiter à la seule lutte contre la pauvreté. C’est la raison pour laquelle il dénonce « le consensus mou dont on se défait à la première occasion » (p. 91) et qui a uni pendant dix ans à la fois les acteurs entre eux et ceux-ci aux pouvoirs publics, alors que « zones de collaboration et zones de tension se croisent régulièrement » et que le consensus a été rompu avec les changements de gouvernement fédéral et provincial en 2003- 2004, après une phase de décentralisation, de coproduction, voire de co-construction de services collectifs.
Une économie sociale trop proche du pouvoir
Sa critique est plus virulente sur la cooptation, la professionnalisation et l’institutionnalisation qui menacent de « néocorporatisation » les partenariats entre les entreprises sociales et l’Etat : « participation non critique aux instances publiques de concertation, affaiblissement de la mobilisation des communautés, professionnalisation bureaucratisante des nouvelles organisations et institutions, et finalement concurrence entre elles pour l’obtention de nouvelles ressources » (p. 147). A cela il oppose – de façon un peu idéalisée ? – le fonctionnement ascendant, démocratique et autonome du mouvement coopératif, qui ne participerait pas, comme défense de groupes d’intérêts, au « lobby politico-administratif ».
Refonder un projet de transformation sociale
La redynamisation de la mobilisation et du projet de transformation sociale ne passe, selon l’auteur, que par une reconnaissance réciproque, sans souci d’hégémonie, et un renouvellement des partenariats entre les quatre grandes familles que sont l’économie coopérative et mutualiste, l’économie associative, l’économie syndicale (via ses fonds de financement) et le nouveau mouvement de la consommation responsable. L’exemple du passage « du premier au second étage du développement » dans les pays du Sud: de l’économie populaire informelle (de survie) à une dynamique économique collective (de développement), grâce au soutien des mouvements sociaux, des structures d’appui et des réseaux plus institutionnalisés (p. 222), semble préfigurer ce qui pourrait être une articulation active entre nouvelle économie associative et économie coopérative structurée, à travers la multiplication des échelles d’intervention pour passer de la microinitiative locale au mode de développement global, en s’appuyant en amont sur les mouvements sociaux et en alimentant en aval la perspective d’un projet de société « où démocratie et développement se conjuguent » (p. 226). Cet ouvrage, moins didactique que d’autres du même auteur en ce qui concerne la réalité de la coopération et de l’économie sociale québécoises, pose néanmoins des questions qui dépassent largement les frontières de l’exemple québécois.
Danièle Demoustier
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