Économie sociale et solidaire et État. À la recherche d’un partenariat pour l’action
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Sous la direction de Jean-Claude Barbier, IGPDE, 2017, 235 pages
Publié à la suite des Rencontres internationales de la gestion publique organisées en 2015 par l’IGPDE (Institut de gestion publique et de développement économique) sous l’intitulé « Tiers-secteur, vers un service public collaboratif », cet ouvrage interroge la transformation des relations anciennes entre ESS et pouvoirs publics, et l’émergence d’une nouvelle appréhension de l’ESS dans les politiques publiques. Le livre se présente en trois parties : « Enjeux, scénarios, risques et potentialités de ce partenariat », « études de cas pratiques dans différents pays » et « sources d’innovation ». Mais cette présentation ne rend pas compte de la diversité des approches. En effet, la nature des relations entre ESS et collectivités publiques varie en fonction de la définition et du rôle de l’ESS, tout comme de la manière dont est défini l’intérêt général. Nous nous proposons de mettre ici en lumière les quatre approches qui se dessinent dans ce livre à travers les textes théoriques et les exemples pratiques présentés.
La première approche retenue s’attache à la complémentarité entre économie sociale et action publique. En prenant une perspective historique, Henry Noguès s’interroge sur la complexité de l’État social, non réductible à la seule intervention publique car mixant plusieurs formes de solidarité : mutualité, associations d’action sociale et fondations. Il insiste sur la logique de complémentarité et de coopération, aujourd’hui mise à mal par une marchandisation qui traduit plus une transformation du mode de régulation qu’une véritable « nouveauté » dans le service rendu, au risque d’une dissolution des valeurs intrinsèques de l’action.
Dans le prolongement de cette analyse, on peut citer le cas de la Russie, présenté par Sergueï Efremov. Dans ce pays, un nouveau contrat social émerge depuis 2016 avec des réformes structurelles dans l’administration, les services publics et les rapports avec la société. Après la chute de l’URSS puis le départ des grandes ONG internationales, de nouvelles ONG nationales (les Sonko) interviennent dans les services sociaux, le dialogue interculturel et la lutte contre la corruption, le tout dans une relation étroite avec l’État, encore marquée par la vision d’un « tsar bienveillant » et d’une bureaucratie «malicieuse». On peut également rattacher à cette analyse le texte d’Isabel Vidal présentant deux exemples catalans de structures complémentaires et partenaires du service public. À Barcelone, la coopérative d’usagers qui gère l’hôpital depuis 1974 s’est alliée à une coopérative de médecins pour former le groupe Assistencia, lequel gère également la société d’assurance qui reçoit les cotisations des membres et verse les prestations complémentaires du système d’assurance publique. Second exemple : la Plateforme de gestion citoyenne, qui regroupe des fédérations gestionnaires de services publics, dans une gestion conjointe avec les collectivités locales.
De la complémentarité à la co-production
La deuxième approche abordée par l’ouvrage est celle de l’économie solidaire comme partie prenante de la démocratisation de la société civile et du service public. À partir d’un cadre théorique qui met à mal les analyses concluant à un simple « échec » du marché puis de l’État, Jean Louis Laville plaide pour le « renforcement mutuel de la démocratisation de la société civile et des institutions publiques », en insistant sur la distinction entre économie sociale et économie solidaire, laquelle, en hybridant les ressources, inscrit les activités dans l’espace public et participe à la régulation publique. Torben Fridberg, dans un article sur le secteur du bénévolat au Danemark, met aussi l’accent sur le rôle de la vie associative dans la réalisation des idéaux démocratiques, comme terreau d’engagement civique et de participation citoyenne. En 2013, une charte de coopération entre secteur bénévole et secteur public a été signée, mais l’auteur critique les efforts politiques et administratifs d’élargissement du bénévolat au détriment d’un appui aux associations existantes.
L’article collectif sur le Canada (Yves Vaillancourt et al.) distingue quant à lui deux modes de participation de l’ESS aux politiques sociales : la coproduction et la coconstruction. En s’appuyant sur la politique du logement « Accès Logis Québec », qui combine les deux, il montre comment l’association de locataires, de professionnels et de dirigeants locaux avec l’administration permet « bricolage et débrouillardise » pour résoudre les problèmes quotidiens et encourage la participation des usagers au sein des institutions publiques.
Victor Pestoff s’attache davantage à définir la coproduction des services publics comme « nouvelle gestion publique » par rapport à la «nouvelle gouvernance publique ». Il insiste sur la nature de la relation de service, qui nécessite cette coproduction entre consommateurs et prestataires pour être plus efficiente et répondre aux finalités sociétales.
Au-delà des rapports ESS / Etat
Dans une troisième approche, au-delà des rapports ESS/État, Nicole Alix élargit la réflexion à la relation ESS/privé, en s’inquiétant du réductionnisme opéré par l’État social, qui promeut une régulation concurrentielle. Elle lui oppose l’approche par les communs en mettant l’accent sur le principe de réciprocité, qui, contrairement à l’échange marchand (équivalence formelle), intègre l’identité des co-échangistes. Elle incite l’ESS à se rapprocher de cette perspective avec laquelle elle partage de nombreux principes.
Deux exemples développés dans le livre illustrent la gestion des communs : l’un concernant les ressources naturelles (le pastoralisme communautaire en Tarentaise, présenté par Pierre Thomé) et l’autre les ressources intellectuelles (les boutiques de sciences, par Davy Lorans). Enfin, la quatrième approche permet de comprendre que tout autre est la perspective libérale dans laquelle s’inscrivent le programme de « Big Society » au Royaume-Uni et l’investissement social nouvellement développé en France. Pour certaines missions publiques, l’entreprise sociale, en s’appuyant plus ou moins sur l’ensemble du secteur privé, marchand et lucratif, est reconnue par l’État comme un acteur « plus efficace » (« Big Society » et contrats à impact social).
Initiative phare lancée en 2010 par David Cameron, dans la continuité de la politique de Tony Blair, la « Big Society » consiste en un vaste projet de réappropriation des politiques locales par la population : écoles autonomes, lieux de vie dans les quartiers Mais, selon Caroline Slocock, ce programme n’a pas eu les effets escomptés : le gouvernement central a très souvent pris la place des collectivités territoriales et les monopoles publics ont été en partie remplacés par des monopoles privés, ce qui a placé le secteur associatif dans une relation de sous traitance. Les rapports entre associations et collectivités publiques ne se sont pas améliorés et les disparités entre les différents publics se sont accrues.
Les contrats à impact social, également lancés en 2010 au Royaume-Uni, relèvent eux aussi d’une nouvelle logique collaborative entre acteurs du privé, du public et du tiers-secteur. Ils se sont développés assez lentement : en 2016, on en comptait 59 dans le monde, dont la moitié au Royaume-Uni. Marie-Élodie Bazy et Thomas Dermine expliquent leurs mécanismes et modes de structuration juridique, et montrent leurs avantages en intégrant l’appel à projet français de 2016-2017. Ils dressent une première évaluation relativement positive, même s’ils estiment que leur champ d’application reste sélectif.
Jean-Claude Barbier aborde cette question de façon plus critique, en dénonçant l’« illusion scientiste » qui réside dans la volonté d’évaluer l’impact social sous l’influence de l’Union européenne et de l’économie expérimentale. La détermination du « retour sur investissement » nécessite en effet d’isoler un seul facteur dans une réalité complexe et de se limiter à une comparaison « coûts/avantages ». Pour lui, seuls quelques « projets tunnels » pourraient être ainsi évalués de façon pertinente.
Ce tour d’horizon révèle que, derrière un certain éclectisme des analyses et des présentations, ce livre présente une réelle richesse pour montrer les différents modes de relation entre l’ESS et l’État : complémentarité et coopération, coconstruction et coproduction, développement autonome ou mise en sous-traitance Les débats que cette évolution engendre en deviennent plus clairs.
Danièle Demoustier
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