Échos de Strasbourg : l’Union européenne à l’heure de l’économie sociale
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Les 5 et 6 mai 2022 se tenait à Strasbourg, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le Forum européen de l’économie sociale : « L’économie sociale, le futur de l’Europe ». Prévues les 16 et 17 février 2022, ces rencontres avaient dû être reportées en raison de la situation sanitaire. Elles se sont donc déroulées à une date marquée par la guerre en Ukraine, avec la présence fortement symbolique d’une délégation de l’Académie d’Économie sociale ukrainienne, mais aussi avec une présence réduite de la puissance invitante, le gouvernement français. En toute fin de parcours, la secrétaire d’État en charge de l’ESS, Olivia Grégoire, a dû se contenter de s’exprimer dans un message vidéo.
Plus de plus de 1 000 participants venus de toute l’Europe étaient présents à ces journées. Responsables d’entreprises de l’ESS, acteurs de terrain, élus de collectivités territoriales, représentants des pays membres de l’Union européenne, têtes de réseaux nationaux et européens, experts, chercheurs, ont pu débattre dans le cadre des très nombreux ateliers et des séances plénières.
Des échanges informels animés ont également eu lieu dans les vastes espaces du Palais des Congrès et de la Musique, autour des stands des nombreuses organisations et institutions, et de « villages » dédiés aux différents thèmes qui constituaient le fil rouge de la manifestation : la jeunesse, la transition écologique, les coopérations, les territoires et politiques publiques.
Les rencontres ont permis de découvrir, grâce à un éventail de visites, la diversité des acteurs de l’ESS de la métropole strasbourgeoise, mais aussi leur implication économique dans le déroulement de la manifestation. De fait, des entreprises de l’ESS ont réalisé plus de la moitié des prestations nécessaires au déroulement de ces deux jours.
De l’entrepreneuriat social à l’économie sociale
Ces journées ont marqué le passage, dans le vocabulaire dominant au niveau européen, de l’entrepreneuriat social à l’économie sociale. Installé par Michel Barnier, Commissaire européen au marché intérieur et aux services entre 2010 et 2014, le concept, demeuré flou, d’entrepreneuriat social n’a jamais été défini, offrant le champ à des interprétations fort diverses, plus fondées sur les pratiques de chaque pays que sur une conception commune à l’échelle de l’Union et reconnue par tous.
Durant les journées de Strasbourg, ce terme a été fortement marginalisé au profit de celui d’économie sociale, figurant dans le titre des rencontres et que le commissaire européen à l’emploi et aux droits sociaux, Nicolas Schmit, a installé.
Il reste pourtant à donner une définition juridique de l’économie sociale permettant d’en délimiter avec une certaine précision les contours, ne serait-ce que pour pouvoir procéder à une quantification rigoureuse et pour développer un cadre stratégique et juridique propice à son développement. C’est d’ailleurs l’un des objectifs du plan d’action visant à développer l’économie sociale européenne présenté par la Commission européenne le 16 décembre 2021, mais dont les modalités restent encore à préciser.
L’exercice ne sera pas simple, comme l’illustre la situation de la Belgique où la partie francophone a procédé à un décompte précis de l’économie sociale, alors que le concept a régressé dans la partie flamande où il n’a plus été porté par les acteurs eux-mêmes, ce qui rend pratiquement impossible une analyse cohérente à l’échelle du pays. Alors au niveau des 27 !
De l’économie sociale à l’économie sociale et solidaire
On note, au cours de ces journées, la coexistence des termes économie sociale et économie sociale et solidaire. Ce dernier terme est surtout utilisé par les Français qui s’appuient sur le rapprochement entre l’économie sociale issue des luttes ouvrières de la deuxième moitié du XIX e siècle et celle de l’économie solidaire, issue des démarches citoyennes dans le champ économique du dernier quart du XX e siècle, aboutissant à la définition contenue dans l’article 1 de la loi du 31 juillet 2014.
Au moment où l’OIT conduit de son côté un travail de définition de l’ESS incluant l’interdiction (ou la limitation) du partage des bénéfices (rappelons ici que la 110 e Conférence internationale du travail s’est tenue du 27 mai au 11 juin 2022 à Genève, avec pour la première fois à l’ordre du jour un point relatif à « L’ESS au service d’un avenir du travail centré sur l’être humain »), et alors que le terme « Économie Sociale et Solidaire » est utilisé de plus en plus fréquemment, en particulier en Afrique, et commence à être reconnu dans les institutions internationales, on peut se demander s’il est bien opportun de s’appuyer au niveau de l’Union européenne sur l’appellation Économie sociale et de ne pas s’associer à la recherche d’une définition internationale.
En tout cas, ces journées ont marqué une étape, dont il faut espérer qu’elle s’inscrive dans la durée et qu’elle aboutira à une clarification juridique nécessaire pour fonder une politique européenne de reconnaissance et de développement de l’ESS dans les pays membres. Dans cette dynamique, la France peut faire valoir son cadre législatif et juridique dédié, la richesse de son écosystème à différentes échelles territoriales (acteurs ESS, politiques publiques, chercheurs) et ses nombreuses expérimentations.
Michel Abhervé, RIUESS
Benjamin Roger, ADDES
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