De New York à Barcelone en passant par Kuala Lumpur, les plateformes coopératives en construction et en discussion
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Si en France les acteurs de l’ESS s’interrogent sur les meilleures façons de construire une économie collaborative porteuse de sens et d’inclusion, à l’échelon international, cette réflexion est portée par plusieurs mouvements et organismes. En effet, le développement des plateformes en ligne questionne les organisations traditionnellement fondées sur la coopération et la participation. Dans un esprit de collaboration équitable et horizontale – éloigné des plateformes qui précarisent le salariat ou s’enrichissent de la production gratuite ou mal rémunérée d’une communauté –, de nouvelles pratiques voient le jour, qui reposent notamment sur les innovations des communautés de logiciels libres et des réseaux d’échanges et de production. Ainsi, les exemples internationaux comme Stocksy (échange de photos), Fairmondo (marché coopératif en ligne), Open Food ou Enspiral (outils de participation et de prise de décision à distance), se multiplient. Trois événements organisés à quelques jours d’intervalle, en des points différents de la planète, ont permis de saisir l’avancée des propositions.
À New York, le rassemblement du « coopérativisme de plateformes »
La troisième édition de Platform Cooperativism, les 10 et 11 novembre à New York, a réaffirmé le caractère mondial du phénomène de «coopérativisme de plate-formes » et l’intérêt qu’il suscite chez tous ceux qui cherchent des alternatives à Uber et autres AirBnB. Le mouvement, lancé fin 2015 par deux Américains spécialistes des médias en ligne, Trebor Scholz et Nathan Schneider (qui se sont rencontrés à la Ouishare Fest, à Paris), a permis en deux ans un formidable travail de popularisation, y compris en Europe, auprès de tous ceux qui rejettent ce que Michel Bauwens appelle le « capitalisme net-archique ».
Le terme de « coopérativisme de plateformes » est né par opposition à celui de « capitalisme de plateformes ». Il ne désigne pas – en tout cas pas seulement – des plateformes créées par les coopératives ; il vise, grâce à une approche connectée au numérique, un nouveau mode de production collaboratif, de gouvernance collective et décentralisée du travail, ainsi que de répartition de la valeur dans la communauté, dans un objectif de ransition écologique.
À ce stade, le mouvement est plus politique que tourné vers l’accompagnement des acteurs, et l’approche marquée par le contexte américain d’un marché (notamment du travail) assez violent. Comme à Londres, lors d’Open Coop en février 2017, le lien se développe donc avec les syndicats pour promouvoir des coopératives de travailleurs ou, en tout cas, des entreprises contrôlées par les travailleurs.
Pour preuve, cette année, la conférence de New York, intitulée « The people’s disruption : platform co-ops for global challenges », était coorganisée avec le groupe ICA (qui promeut les coopératives de travailleurs afin de prévenir la perte d’emplois, l’actionnariat salarié démocratique de type Esop, des entreprises à vocation sociale) et l’Alliance nationale des travailleurs à domicile des États-Unis.
Sur les 250 participants, aux côtés des amis américains, les ténors mondiaux de ces plate-formes alternatives et des projets comme Fairbnb étaient là, avec l’envie de peser sur la fabrique du monde de demain grâce à cette communion autour d’une vision partagée de développement.
À Kuala Lumpur, un soutien aux plateformes coopératives voté par l’ACI
Du 14 au 16 novembre, c’est l’Alliance coopérative internationale (ACI), cadre bien plus institutionnel et « normatif », qui a mis le sujet sur la table de son assemblée générale à Kuala Lumpur (Malaisie), dans quatre sessions (qui réunissaient deux cents personnes à chaque fois) : la propriété des robots, le futur du travail, les coopératives « multi-parties prenantes » et la question « Coopératives et économie collaborative : comment s’approprier les plateformes numériques ? » – sujet que Cooperatives Europe a approfondi de son côté dans une étude présentée le 7 novembre (« A cooperative vision for the collaborative economy », https:// coopseurope.coop/node/712).
Nicole Alix, présidente de La Coop des communs, en France, a modéré la session dans l’idée de l’ouverture des coopératives à ces enjeux : qu’en pensent-elles ? Comment expriment-elles leurs spécificités dans cette « économie collaborative » ? Quel rôle peuvent-elles jouer dans l’élaboration d’un nouveau modèle d’économie collaborative ? Sont-elles sur la défensive ou, au contraire, prêtes à des alliances avec ce « nouveau coopérativisme » ? Melina Morrisson, PDG de Business Council of Co-operatives and Mutuals en Australie, a montré qu’il existe plusieurs niveaux de réponse : les coopératives locales peuvent simplement intégrer des plateformes numériques pour améliorer leurs services aux membres ou prendre des participations dans des start-up conventionnelles de l’économie collaborative. Elles peuvent aussi prétendre démocratiser cette économie selon les principes de la coopération. Le coopérativisme de plateformes pourrait ainsi humaniser l’économie collaborative, comme le tente en Belgique la coopérative Smart, en permettant à 80 000 travailleurs indépendants de bénéficier de services juridiques et administratifs, d’une assurance contre les accidents du travail, de financements, d’espaces de coworking et de conseils... Bref, le contraire d’Uber !
Autre action présentée : celle de la campagne internationale « Buy Twitter », menée par Danny Spitzberg, lui aussi à la tribune, visant à transformer la plateforme Twitter en une coopérative grâce à son rachat (option soutenue par l’ACI). Le compte rendu de l’ACI relève qu’une autre option serait que les coopératives construisent leur propre alternative à Twitter, en vue de fournir un modèle organisationnel réellement différent et de meilleures conditions d’utilisation.
Au travers d’une résolution présentée par Coop UK, l’ACI a apporté son soutien à la « nouvelle génération d’entrepreneurs coopératifs » engagée dans ces modèles émergents de coopération, mettant l’accent sur la promotion ainsi que sur les partenariats financiers et commerciaux. Un des enjeux forts reste que les coopératives existantes travaillent en bonne compréhension avec les acteurs du « nouveau coopérativisme », qui interroge le mode de production (et pas seulement de propriété) ainsi que la façon de servir l’intérêt général et la transition environnementale.
A Barcelone, l’affirmation de la nécessité de dialoguer
Les villes sont au cœur de ces évolutions. Leurs structures changent, en raison notamment de la dynamique autour des plate-formes telles que AirBnB, qui conduisent certaines d’entre elles à un questionnement plus général sur la transformation de plus en plus marquée de ressources publiques ou collectives (terres, bâtiments, connaissances, données...) en marchandises exploitées par quelques-uns.
Dans cet esprit, la ville de Barcelone mène un travail extrêmement structuré, fondé sur une conception prospective de l’ESS étroitement liée à celle de la digitalisation. Les plateformes en ligne, la participation des citoyens (plateforme Decidim), l’économie sociale et solidaire, l’économie circulaire et la transition écologique sont pensées par l’équipe municipale, en partenariat avec l’équipe universitaire Dimmons, animée de façon très efficace par Mayo Foster Morell. Les politiques publiques visant la cocréation d’un écosystème de l’économie collaborative et « l’économie collaborative orientée vers les communs » ont été au cœur des échanges qui ont eu lieu les 16 et 17 novembre avec Co-Commons (Commons with Cooperatives, Municipalities and Unions).
Ce petit groupe de travail européen a publié ses travaux le 16 novembre (« Organizing and governing the commons : a coop-commons multilevel dialogue with municipalities and labour », http://com-monstransition.org) , témoignage de ce qui était fait et de ce qui reste à faire pour que les mondes des « communs », du « pair à pair », des coopératives, des municipalités et du travail se comprennent mieux, surtout lorsque de mêmes mots désignentdes concepts proches mais non identiques ou, à l’inverse, lorsque des mots différents recouvrent des réalités proches (notamment parce que le contexte national et politique ou la discipline d’origine ne sont pas les mêmes).
Nul doute qu’un champ de connaissance est en train de se structurer, intéressant les acteurs et les chercheurs de l’ESS.
Nicole Alix
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