Coopérativisme des plateformes numériques : une conférence à New York dresse un état des lieux
Actu
Agenda
Base Doc
Toute la Recma
- 2010
- 2019
- 2018
- 2017
- 2016
- 2015
- 2014
- 2013
- 2012
- 2011
- 2010
- 2000
- 2009
- 2008
- 2007
- 2006
- 2005
- 2004
- 2003
- 2002
- 2001
- 2000
- 1990
- 1999
- 1998
- 1997
- 1996
- 1995
- 1994
- 1993
- 1992
- 1991
- 1990
- 1980
- 1989
- 1988
- 1987
- 1986
- 1985
- 1984
- 1983
- 1982
- 1981
- 1980
- 1970
- 1979
- 1978
- 1977
- 1976
- 1975
- 1974
- 1973
- 1972
- 1971
- 1970
- 1960
- 1969
- 1968
- 1967
- 1966
- 1965
- 1964
- 1963
- 1962
- 1961
- 1960
- 1950
- 1959
- 1958
- 1957
- 1956
- 1955
- 1954
- 1953
- 1952
- 1951
- 1950
- 1940
- 1949
- 1948
- 1947
- 1946
- 1945
- 1944
- 1943
- 1942
- 1941
- 1940
- 1930
- 1939
- 1938
- 1937
- 1936
- 1935
- 1934
- 1933
- 1932
- 1931
- 1930
- 1920
- 1929
- 1928
- 1927
- 1926
- 1925
- 1924
- 1923
- 1922
- 1921
- 1920
Avec pour titre « Who owns the world ? The state of platform cooperativism » (« Qui détient le monde ? Le point sur le coopérativisme des plateformes numériques »), la rencontre qui s’est tenue à New York du 7 au 9 novembre 2019 a célébré dix ans de conférences sur le digital labor (1) et le coopérativisme des plateformes numériques, un mouvement impulsé par Trebor Scholz, fondateur de l’Institute for the Cooperative Digital Economy (de la New School de New York) et inventeur du terme « platform cooperativism ». L’événement a réuni 700 participants de 30 pays et 97 villes, représentant 400 initiatives, en très nette augmentation par rapport à l’édition de 2017. Plusieurs mouvements coopératifs nationaux étaient représentés (des délégations britanniques, américaines, italiennes, indonésiennes, turques et japonaises, notamment), ce qui témoigne d’un intérêt croissant pour ce phénomène.
La question posée par le titre de la conférence (« Qui détient le monde ? ») renvoie à l’opposition entre deux modèles : d’un côté, celui des plateformes numériques collaboratives qui appliquent des principes de gouvernance démocratique et de redistribution de la valeur dans les communautés, reposant le plus souvent sur le statut de coopérative ; de l’autre, celui des grandes entreprises capitalistes qui gèrent des plateformes numériques comme elles le feraient de n’importe quelle société anonyme. Ce dernier modèle repose sur l’exploitation du travail des employés et des données des utilisateurs, ainsi que sur la « disruption » des équilibres économiques et sociaux existants pour remporter des marchés les plus globaux possible (quitte, comme on le sait, à perdre beaucoup d’argent en attendant d’avoir éliminé les anciennes organisations).
Il est intéressant de rappeler qu’en France le groupe de travail Plateformes en communs (créé par l’association La Coop des communs) se reconnaît bien dans la formulation de cette question : elle l’a elle-même posée lors du premier Forum des plateformes coopératives, qu’elle a organisé à la Bourse du travail le 11 octobre 2019 (« Des plateformes coopératives au service des citoyens et des territoires. L’ubérisation n’est pas une fatalité, avant la tenue de la conférence de New York (2). L’Organisation internationale du travail (OIT), qui suit attentivement ces initiatives depuis plusieurs années, était présente à l’événement parisien, aux côtés de plusieurs représentants européens de groupes de travail et d’acteurs du domaine, et ce travail original mené en France a été présenté à la conférence de New York.
Résister aux nouvelles formes d’exploitation et préparer la transition écologique
Impossible de résumer ici la richesse des 150 présentations d’initiatives recourant au coopérativisme de plateformes. Notons d’ailleurs que celles-ci ne sont pas toutes constituées sous forme coopérative : certaines sont associatives, d’autres revêtent la forme d’entreprises à lucrativité limitée. Les initiatives les plus « médiatiques » sont celles des travailleurs de la mobilité (conducteurs de taxi ou de VTC aux États-Unis, en Afrique du Sud et en Inde) contre Uber, et celles des livreurs à vélo contre Deliveroo et autres (en France et à Barcelone, ils se fédèrent autour de Coopcycle). Ces travailleurs constituent un sous-prolétariat d’un nouveau type, surexploité par les plateformes capitalistes. Leurs « platforms coops » sont des outils de résistance et de reprise du pouvoir économique.
D’autant que le recours à l’intermédiation de plateformes qui captent de la valeur et des données à chaque transaction n’est pas un point de passage obligé, comme le montre la plateforme québécoise Eva, qui met en relation directe des conducteurs et leurs clients en s’appuyant sur la blockchain. Les promoteurs d’Eva souhaitent que leur système soit utilisable partout par des acteurs non lucratifs. Les exemples relatés durant la rencontre, vecteurs de résistance mais aussi d’innovation, couvraient de nombreux autres domaines : les circuits courts alimentaires, la santé et l’accompagnement des personnes, l’accès aux données de santé et leur utilisation, l’entraide et l’échange de biens et services, y compris entre migrants et réfugiés (par exemple en Turquie), la banque et l’épargne (des habitants d’une banlieue de Londres s’organisent financièrement pour créer de l’emploi), etc.
Des personnalités du monde académique, politique, coopératif...
Le vice-maire de New York est venu présenter sa vision des choses : en réponse au capitalisme, une « idéologie qui, pour beaucoup de gens qui n’ont pas la parole alors qu’ils sont sources d’innovation, ne marche pas », « les coops et les platforms coops apportent des voies de solution ». La municipalité de New York veut être partie prenante de ce mouvement et a adopté en ce sens une résolution pour favoriser la constitution de coopératives de travailleurs, qui fait notamment ses preuves dans la structuration du travail des immigrantes travailleuses à domicile (Up and Go).
« Whose tools are we ? » (« De qui sommes-nous les outils ? ») : Melissa Hoover, directrice générale du Democracy at Work Institute, est venue interroger l’auditoire en ces termes. « Les coopératives sont à la fois un système et un outil ; c’est aussi le cas des plateformes. Si on mixe les deux, on peut avoir une vraie force transformatrice », a-t-elle déclaré, suggérant de chercher « quels sont les systèmes qui utilisent les outils que nous développons et quels sont les éléments essentiels des plateformes coopératives qui permettent d’agréger le pouvoir et les ressources des travailleurs plutôt que de les atomiser ».
De son côté, le président de la National Cooperative Business Association (États-Unis) a déclaré : « Nous avons besoin de nouvelles solutions de gouvernance démocratique pour nous préparer à agir dans les cinq ans » afin de forger la transition écologique et sociale. Il faisait ainsi référence à une autre situation historique : celle de la création des coopératives d’accès à l’électricité par des agriculteurs américains en 1934. Répondant à une question sur la contribution des platforms coops à la lutte contre le changement climatique, il a d’ailleurs fait valoir qu’être associés dans des coopératives d’électricité aide les ménages à mieux gérer leur consommation.
« L’innovation naît du stress existentiel », s’est exclamé le professeur Jack Qiu, de la Chinese University de Hongkong : la lutte contre Uber pourrait, contre toute attente, déclencher un mouvement international pour répondre aux nouvelles urgences créées par des régimes autoritaires. « Nous sommes ce que nous allons devenir, a-t-il répondu à une question. Nous sommes les 3 D : “dispossessed, diverse, dynamic” » (« Dépossédés, d’une grande diversité, dynamiques »). Sur ce point, ce n’est pas faire preuve de chauvinisme que d’estimer que les chercheurs français ne sont pas en retard, si l’on en croit les propos entendus lors des séances plénières : le groupe de travail de La Coop des communs se situe au point de rencontre du platform cooperativism et de l’open cooperativism, proche des communs (3) ; au croisement de l’ESS et des communs.
Les prochains rendez-vous : en France, après le séminaire international de clôture du programme de recherche « En Communs » (18 au 20 mars à Paris), seront présentés un rapport et un état des lieux sur « les plateformes comme communs au sein des territoires », le 22 avril à la CDC/Banque des territoires, à Paris https:// coopdescommuns.org/fr/cdc-des-innovations-au-service-des-territoires/ ; en Allemagne, la prochaine conférence internationale du Platform Cooperativism Consortium se tiendra du 13 au 15 novembre 2020 à Berlin.
Nicole Alix
La documentation et les vidéos de la conférence sont en ligne sur https://platform.coop/events/conference-2019/, via le programme https://platform.coop/events/conference-2019/program/. Les sessions sont accessibles sur https://platform.coop/events/conference-2019/the-gig-worker-freelancer-s..., ainsi que des interviews avec des participants sur https://www.youtube.com/playlist?list=PLc4gf7AbmXmAZYTiM3dLnAI2BveSxWVZi
Pour s’abonner à la newsletter du Platform Cooperativism Consortium : https://mailchi.mp/platform.coop/gig-workers-rising-2nd-edition-of-the-p...
(1) Au sens de « travailleurs du clic ». Voir à ce sujet les travaux d’Antonio Casilli, notamment.
(2) Voir sur le site de la Coop des communs la déclaration adoptée, en français et en anglais https://coopdescommuns.org/fr/communique-forum-des-plateformes-cooperati...
(3) Guillaume Compain, Philippe Eynaud, Lionel Maurel et Corinne Vercher-Chaptal, « Les plateformes collaboratives : éléments de caractérisation et stratégies de développement », https://hal.archivesouvertes.fr/hal-02144472
Mots clés
Thèmes
Sur le même thème
- Les chauffeurs Uber, canuts du xxi e siècle?
- Construction d’une autonomie relative dans les territoires ruraux du Nicaragua: une lecture méso-économique du coopérativisme paysan
- L’usage du numérique, facilitateur de la gouvernance? Le cas des coopératives agricoles
- Des communs sociaux à la société du commun
- « Fab labs », « makerspaces »: entre innovation et émancipation?