Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?

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Maud Simonet, Textuel, 2018, 152 pages

Dans ce petit ouvrage rédigé de façon vivante et accessible, Maud Simonet s’interroge sur les différentes formes de travail gratuit, « citoyennes » comme « numériques », notamment le bénévolat mobilisé par les associations. Son intérêt est de mettre cette question en débat en rappelant les grandes leçons de l’analyse féministe du travail domestique depuis quarante ans, pour « en saisir les contradictions, les formes d’exploitation et les potentialités d’émancipation » (p. 11). Ces leçons concluent le premier chapitre (p. 45).
L’activité donnée gratuitement qui se dégage de cette perspective féministe n’est pas pensée comme travail, et ce déni renvoie à d’autres formes de valorisation, comme la reconnaissance des proches par exemple (« au nom de l’amour »). Ce travail féminin n’en est pas moins approprié en fonction de rapports sociaux extérieurs au marché, le patriarcat par exemple, qui peuvent lui donner un sens différent suivant les positions occupées dans l’espace social.

À partir d’enquêtes sur la cohabitation de différentes formes de travail dans l’entretien des parcs de New York, entre autres (p. 52), le chapitre 2 étudie les politiques de travail gratuit accompli « au nom de la citoyenneté ». Ce faisant, il invite à questionner les représentations communes de la pratique bénévole comme « engagement spontané dans une société civile qui se déploierait à côté de l’État » (p. 71), pour amener le lecteur à s’interroger sur le rôle de l’État dans la mise au travail gratuit et le « brouillage » croissant des frontières entre les politiques du bénévolat et celles du workfare (p. 79).

Sur internet, des combinaisons entre travail et loisir
Le chapitre 3 explore les combinaisons ouvertes entre travail et loisir dans le travail numérique effectué gratuitement sur Internet. En se penchant sur la « grève » des blogueurs du Huffington Post et l’action en justice qu’ils avaient intentée à l’occasion de la vente du journal (créé en 2005 grâce à un investissement d’un million de dollars et dégageant 65 millions de chiffre d’affaires publicitaires lors de sa vente en 2011), l’auteure s’interroge sur la démesure entre les valeurs amenant les internautes à écrire gratuitement dans ce journal et la valeur marchande créée à partir de leur travail (p. 107).
Le chapitre 4 élargit l’analyse aux relations entre travail gratuit et marché de l’emploi. Il évoque le monde associatif, où est largement répandue « l’idée selon laquelle un bénévolat pourrait déboucher sur un service civique, puis un contrat aidé, et à terme se concrétiser par un CDI dans l’association visée » (p. 128). Ce fonctionnement révèle le paradoxe existant entre la gratuité de ce travail « espéré » (hope labor) et sa contribution à la précarité contemporaine du travail salarié qui le justifie, d’autant que les politiques d’emploi sont passées en vingt ans d’un « bénévolat proscrit à un bénévolat prescrit » (p. 132).
Face à ce brouillage des frontières, le chapitre 5 explore deux scénarios. Tout d’abord, la « conflictualité salariale » des travailleurs gratuits permettrait la dissolution du travail gratuit dans le salariat, mais cette dynamique se révèle insuffisante face à la « poupée russe des statuts » (p. 148). À l’inverse, le revenu universel permettrait de reconnaître les formes de travail gratuit et de « sortir de la vision binaire et hiérarchisée du travail dans lequel le développement du salariat serait inscrit » (p. 149). Mais, dans un cas comme dans l’autre, si la question du basculement des rapports sociaux pour remettre en cause cet ordre des choses demeure posée, il n’en reste pas moins que l’ouvrage peut inviter les responsables associatifs à la réflexion sur leurs stratégies en matière de gestion des activités entre bénévolat et emploi salarié, et les effets qu’elles sont susceptibles de produire.

François Doligez, Iram