Régimes territoriaux et développement économique
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Régimes territoriaux et développement économique, Sous la dir. de Xabier Itçaina, Jacques Palard et Sébastien Ségas. Presses universitaires de Rennes, 2007.
Cet ouvrage collectif n’est pas centré sur l’économie sociale et solidaire (ESS), bien qu’une série de papiers lui soient explicitement dédiés. Il vient avant tout proposer une grille de lecture de la gouvernance territoriale en croisant développement économique et régulation politique. Il offre ainsi un cadre pour situer les acteurs de l’ESS, leurs pratiques et leurs stratégies dans des dynamiques territoriales complexes. Dans le même temps, il donne des clés d’analyse des modes de régulation des secteurs et des territoires.
Matrice territoriale
Il permet ainsi de renouveler la compréhension de l’ESS à partir du concept de "régime territorial" caractérisant les facteurs non directement économiques du développement territorial et de l’action collective, et notamment les fondements des réseaux d’acteurs. Il introduit aussi la notion de « matrice territoriale « comme combinatoire de facteurs culturels, historiques, politiques et économiques pour comprendre le développement des territoires. Cette notion est mobilisable par les chercheurs pour comprendre, expliquer et traduire l’ancrage de l’ESS dans les territoires et sa contribution à la richesse et à la transformation des territoires. Elle l’est aussi pour les praticiens et acteurs du territoire pour caractériser et formaliser leur contribution au développement local. Elle l’est enfin pour construire des stratégies visant à convertir des pratiques socio-économiques en problèmes politiques susceptibles d’intégrer un agenda politique au niveau local, régional et national.Cet ouvrage, « fruit d’échanges et de contributions interdisciplinaires », réunit des contributions d’auteurs de différentes nationalités, à contenu théorique ou plus appliqué. Il est organisé en quatre parties.
La première s’intitule « Qualités du territoire et développement économique : héritage et stratégie ». Elle met en scène des territoires contrastés tels que le Québec, le Pays basque français et l’Ouest camerounais. L’économie sociale et solidaire y apparaît comme un ressort important du développement économique selon des formes et des modalités différenciées. On y retrouve notamment une synthèse de Lévesque quant aux politiques et aux pratiques de développement local au Québec qui fait la part belle à l’économie sociale, dans une approche originale du développement économique communautaire. Ce sont aussi les coopératives qui font l’objet d’analyses approfondies et permettent de mettre en évidence que les héritages sociopolitiques ne sont pas toujours favorables à leur développement. Ainsi, Itçaina montre comment, au Pays basque, les Scop constituent des entreprises politiques et structurent l’espace public. Il y a là une articulation originale entre héritage idéologique et contribution au développement endogène. D’un autre point de vue, Kayo Sikombé s’appuie sur l’histoire des coopératives de café au Cameroun pour caractériser leur contribution au développement économique tout en soulignant la difficulté d’appropriation des principes de la coopération. Enfin, Palard, analysant la Beauce québécoise, souligne le rôle central des relations sociales dans le développement de la coordination entre les acteurs et plus largement dans le développement industriel de ce territoire.
Mondialisation et décentralisation
La deuxième partie est consacrée aux « secteurs et [aux] territoires », une entrée nécessaire pour aborder les questions de développement local dans un contexte marqué par une double tendance à la mondialisation, d’une part, et à la décentralisation, de l’autre. Le texte de Benko caractérise les différentes dimensions du territoire, en tant qu’il est à la fois construit, figure du développement et diversité. La contribution de Dupuy, Gilly et Lung identifie différentes configurations des rapports secteurs-territoires en s’appuyant sur les diverses acceptions de la proximité. Ces auteurs distinguent ainsi des territoires d’agglomération caractérisés par une proximité géographique, des territoires de spécialisation (proximités géographique et organisationnelle) et des territoires de spécification qui combinent proximités géographique, organisationnelle et institutionnelle. Les textes suivants sont plus appliqués. Le premier, de Costa, Maillard et Smith, analyse le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux comme mécanisme de régulation corporatiste entre producteurs et négociants. Le deuxième texte, celui de Gouzien, observe les systèmes de pêche artisanaux et le rôle des structures coopératives dans la recomposition territoriale en Cornouaille française. L’auteur met ainsi en évidence l’articulation entre "régulation interprofessionnelle" et "formation socio-spatiale" à travers des instances articulant activités économiques et territoire. Ces deux études appliquées soulignent les transformations à la fois des secteurs et des territoires et l’absence de stabilité, dans le temps et dans l’espace, des configurations observées.
Innovations territoriales
Les "nouveaux outils d’intervention sectorielle" sur le développement économique territorialisé constituent la troisième partie de l’ouvrage. Ils sont l’occasion de déconstruire quelques représentations du développement local et d’interroger la contribution des pouvoirs publics au développement du territoire. L’article de Grossetti présente « un bilan des effets des politiques destinées à favoriser le développement économique par l’innovation », et tout particulièrement des politiques d’enseignement supérieur et de recherche. Il met en évidence l’importance du temps dans les dynamiques d’innovation et la prédominance du rôle des relations interpersonnelles sur l’action publique. Le texte de Fauré analyse les liens entre décentralisation (politiques municipales) et développement local au Brésil et montre les limites de l’action publique dans la structuration d’une « offre de territoire », notamment les effets pervers que peut avoir la proximité des décideurs dans un contexte particulier. La contribution de Gayraud, sur l’enseignement supérieur et plus précisément sur les licences professionnelles, étudie le lien entre action publique et systèmes localisés d’enseignement supérieur. Elle met en évidence des dynamiques locales différenciées qui confèrent un rôle variable aux collectivités locales. Enfin, le texte d’Arpaillange et alii sur l’insertion par l’activité économique souligne les tensions entre " économicisation du social et territorialisation des dispositifs" de l’insertion par l’activité économique (IAE). Ces tensions sont renforcées par l’institutionnalisation de l’IAE, qui dans cette dynamique tend à se distancier du micro-territoire local au sein duquel elle s’épanouissait sans réussir pour autant à prendre pied dans le territoire plus large des dynamiques productives.
Le "moment territorial"
Enfin, la quatrième partie, sur « les nouveaux outils de la coopération territoriale », permet d’aborder des innovations en lien avec la qualité des territoires et de poser la question de l’existence de nouvelles régulations territoriales en lien avec l’hypothèse du « moment territorial ». Pecqueur, dans « Le tournant territorial de la globalisation », démontre l’émergence de ce "moment territorial" au coeur de l’économie globale et de la régulation post-fordiste. C’est cette perspective que l’on retrouve dans les trois autres textes, plus appliqués. Labazée et Alba Véga, sur le Mexique, analysent les liens entre petits entrepreneurs et recompositions socioéconomiques territoriales, mettant en évidence des tensions entre ouverture internationale et contribution aux dynamiques locales. Analysant le développement local en Pologne, Aïssaoui souligne l’importance de la dépendance de sentier et met en évidence la difficile appropriation de processus de décentralisation impulsée par l’appartenance récente à l’Union européenne. Analysant le « pays « en France, et plus particulièrement le Médoc et le Pays basque, Ségas s’efforce de caractériser la manière dont les acteurs locaux et particulièrement les organisations de l’ESS s’approprient les nouvelles institutions territoriales et avec elles les nouvelles politiques publiques : en quoi et comment est-il possible d’impliquer ces acteurs de la société civile dans le développement territorial ? Plusieurs modèles émergent ainsi selon que la participation est déjà plus ou moins routinière. Sur tous les terrains d’observation ressort le fait que le tournant territorial ne peut s’appréhender indépendamment d’un contexte historique et de dynamiques cognitives originales.
Cet ouvrage, justement parce qu’il n’est pas centré explicitement sur l’ESS, ouvre des possibilités de mieux comprendre les liens, faits de tensions mais aussi de coopérations, de l’ESS aux territoires et plus particulièrement aux politiques publiques. Il ouvre aussi des perspectives sur la valorisation du rôle que jouent les organisations de l’ESS dans le renforcement des liens sociaux et des interactions entre individus et entre organisations, au coeur du développement économique. Il invite enfin à repenser la place de l’ESS dans les changements institutionnels. Un vaste chantier qui reste encore à débroussailler.
Nadine Richez-Battesti, Lest-CNRS et université de la Méditerranée
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