Pour une économie de la réconciliation. Faire de l’ESS la norme de l’économie de demain

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Jérôme Saddier, Les petits matins, 2022, 133 pages

Ce livre est étonnant et (ou parce que) passionnant. Un livre écrit par le président de l’organisme chargé de la représentation nationale de l’économie sociale et solidaire, a pour moi l’image d’un opuscule ennuyeux, au mieux instructif des préoccupations d’une institution. Sans doute co-écrit avec un ou deux collaborateurs éventuellement mentionnés en note de bas de page, il n’a rien de personnel et n’apprend rien ni ne stimule la pensée. Voilà tout ce que ce livre n’est pas.
Ce n’est pas non plus un livre académique, ce n’est pas l’analyse approfondie d’un thème circonscrit, mais l’expression d’une pensée personnelle, moins sur l’économie sociale et solidaire prise en elle-même, que sur sa place actuelle et potentielle dans la société.
Formellement, le livre est assez court, comprenant classiquement une introduction, quatre chapitres, une conclusion et deux annexes (Appel à tous ceux qui font l’économie sociale et solidaire « pour que les jours d’après soient les jours heureux ! », et la reproduction de la déclaration de l’engagement de l’ESS de décembre dernier).
Dans le premier chapitre, l’auteur part du constat du recul démocratique de notre société, de la fragilisation de la société civile à travers ses corps intermédiaires, et plus généralement du pessimisme ambiant. Il émet donc l’opinion qu’il faut retrouver le sens du collectif, ce qui l’amène aussi au commun. Il propose à cet égard une thèse forte : l’ESS peut constituer la boussole du monde de demain. « L’ESS peut, sur une longue durée, se définir comme l’économie des besoins et de leurs réponses construites dans un cadre et une finalité communautaires ». On comprend que cette définition fournit un autre modèle de la détermination politique des choix économiques, une autre conception du moteur de l’action humaine.
Le second chapitre insiste sur l’importance et l’originalité du lien entre ESS et citoyenneté économique. Ici, le point de départ consiste dans les impasses sociales que nous observons aujourd’hui du modèle capitaliste. Pour y répondre, il conviendrait de créer un contexte favorable, par une multitude d’initiatives économiques et sociales venant de la société civile. Bien sûr, l’ESS est la principale pourvoyeuse de ces initiatives. Mais celles-ci mettent en mouvement des principes et des mécanismes pour lesquels l’ESS a aussi beaucoup à apporter : recherche du juste prix, mais aussi mise en acte d’une démocratie vivante bien plus riche que notre démocratie électorale, ressource pour une véritable régulation des activités économiques.
Le troisième chapitre est peut-être le plus proche de ce que serait une description de l’ESS, avec une insistance particulière sur son ancrage territorial. C’est l’occasion d’une mise en discussion du mantra du changement d’échelle, et de la proposition de fédérer l’ESS autour de la « gestion désintéressée » qu’il conviendrait de réhabiliter et qui exprime bien que l’ESS est, sinon entièrement anticapitaliste, en tout cas toujours acapitaliste dans son fonctionnement. Forte de son innovation sociale, l’ESS offrirait des ressources plus sûres que les contrats à impact à la mode.
Le dernier chapitre se recentre sur l’entreprise. C’est l’occasion pour l’auteur de faire quatre propositions : le travail doit demeurer producteur de sens et de droits quelles que soient les évolutions du monde économique ; la nécessité de répondre à des enjeux inédits et potentiellement contradictoires appelle à un changement de modèles d’entreprises ; la responsabilité globale des entreprises peut être convoquée pour satisfaire des objectifs d’intérêt général et collectif ; enfin, il va devenir indispensable de compter autrement ce qui compte vraiment. La seconde annexe est déjà connue, la première consiste dans un vibrant appel aux acteurs de l’ESS de se saisir de ces idées porteuses d’espoir et de s’en faire les chantres dans la société. Nous l’avons dit, il ne s’agit pas d’un livre de recherche et l’universitaire peut être tenté de se plaindre d’un manque de rigueur. Ainsi, bien que nous ayons essayé de rendre la cohérence des quatre chapitres, il nous semble qu’ils ne se distinguent pas toujours très bien et on est davantage en présence d’une multitude d’idées que d’un raisonnement serré. De la même manière, les concepts ne sont pas vraiment définis ; par exemple, quoiqu’il soit fait régulièrement appel aux communs, aucune distinction n’est opérée entre cette notion et l’ESS, au point qu’on pourrait se demander si elles ne se recouvrent pas dans la pensée de l’auteur. Il y a en revanche un reproche qu’on ne pourra pas faire, c’est l’absence de référence bibliographique. Les références sont riches et contemporaines ; il n’est pas si fréquent qu’un haut responsable soit grand lecteur, cela mérite d’être relevé.
Nous ne prenons pas à notre compte les reproches sus-évoqués, parce qu’ils ne correspondent pas au projet éditorial. L’auteur fait un livre de convictions qui explicite le sens de son action à la tête d’ESS France et, à cet égard, nous le trouvons parfaitement réussi, et ce n’est pas seulement parce que nous partageons cette vision d’une ESS comme projet politique. Il fourmille d’idées de nature à servir de guide dans la réflexion et dans l’action, nous allons en prendre seulement deux exemples. Le premier est celui de l’ESS comme boussole. Après la république coopérative, il serait facile de transposer l’idée à l’ESS et de rêver qu’elle conquière l’ensemble de l’économie. Ce à quoi nous invite Jérôme Saddier, c’est tout autre chose, beaucoup plus réaliste, quoique très ambitieux. L’ESS n’est pas appelée à être toute l’économie, mais elle peut être le modèle autour duquel s’agrègent de nombreuses entreprises extérieures à l’ESS. En ce sens, l’ESS peut avoir une fonction comparable à celle de l’entreprise capitaliste aujourd’hui : quoique les entreprises capitalistes ne soient pas numériquement majoritaires, elles sont le modèle incontesté auquel toutes les entreprises s’identifient,  le plus souvent inconsciemment. Pourtant, le plombier, l’agriculteur, l’infirmier libéral ou le livreur indépendant sont bien plus éloignés des préoccupations, des représentations ou des mobiles de la société multinationale que de l’entreprise d’ESS. Alors, que l’ESS contribue à l’élaboration du monde de demain par la fourniture d’une boussole, voilà qui est enthousiasmant et faisable.
La deuxième idée est celle de la gestion désintéressée. La non-lucrativité ne correspond pas à toute l’ESS et toutes les familles ne sont pas emballées par la lucrativité limitée, craignant de se faire aspirer dans le tourbillon de la non-lucrativité. Mais surtout, tout ceci se définit aujourd’hui par rapport à la lucrativité qui est progressivement devenue la norme depuis deux siècles. Or la norme doit changer de camp : la plupart de nos actes ne sont pas dictés par la lucrativité. Il sera difficile de retourner la norme du côté du gratuit ou de la bienfaisance, parce qu’ils sont aujourd’hui connotés par leur opposition au lucratif. La gestion désintéressée fournit une autre voie, qu’il conviendra d’approfondir et d’étendre car il ne s’agit pas que de gestion. Mais c’est une piste prometteuse.
Nous n’exprimerons qu’un regret : une attention accrue aurait pu être portée aux salariés de l’ESS. Ils ne sont pas oubliés, l’originalité de l’ESS en matière de travail est mise en avant. Mais, par exception au reste du livre, le propos ne dépasse pas le stade du convenu  et ne prend pas la question à bras le corps. Est-il conforme aux idéaux portés par l’ESS que, pour des raisons dont nous ne contestons pas la pertinence intrinsèque, la plupart des entreprises d’ESS ne font pas aux salariés une place structurelle différente de ce que font les entreprises capitalistes ? La question n’est pas celle, polémique, des conditions de travail, mais celle de l’intégration à la prise de décisions. Si l’ESS se targue de son nombre de salariés comme manifestation de son poids économique, leur donner une place accrue serait porteur d’accroître son poids politique et, qui sait, ses sources de financement. Ce regret n’est pas de nature à atténuer le plaisir et on ne peut que conseiller la lecture de l’ouvrage.

David Hiez