Ni propriétaires, ni locataires : coopérateurs

(Un article d'Anne-Laure Murier, Témoignage Chrétien, 25 novembre 2011). "Première coopérative d’habitants en construction en France, le Village Vertical de Villeurbanne a posé sa première pierre. Ce projet offre une nouvelle voie d’accès au logement. Salve d’applaudissements quand Antoine prend la parole, au nom des 17 adultes et 10 enfants – et bientôt plus – qui composent le Village Vertical de Villeurbanne. Voilà six ans que cette coopérative d’habitants œuvre au rêve qui les a rapprochés : s’inventer un logement en phase avec leurs convictions. Une utopie plus réaliste que jamais, en ce 16 novembre où l’on célèbre l’inauguration officielle du chantier.

« Nous sommes dans une crise globale et historique, qui brise les vies et détruit l’environnement, rappelle Antoine, père de famille. Si certains refusent de voir cette double urgence, nous avons décidé de faire notre part. Architectural, juridique, financier, humain, le chantier n’est pas fini. Mais les solutions existent. Considérons aujourd’hui que le verre est à moitié plein et rendez-vous en 2013 pour la pendaison de crémaillère ! »

Les 14 appartements du Village Vertical voisineront 24 autres en accession sociale à la propriété, tout en incluant dans leur coopérative quatre logements en résidence sociale jeunes. Une buanderie collective, une salle d’activités ainsi que des chambres d’amis seront mutualisées, pendant qu’une chaufferie au bois et une toiture photovoltaïque coifferont tout l’immeuble. Finis les réflexes de copro¬priétaires et leurs prérogatives réglées aux millièmes : ici « une personne = une voix » est le seul étalon démocratique. La propriété, collective, est dissociée du droit d’usage, dans une gestion à but non lucratif : ce sont des parts sociales que les coopérateurs acquièrent et peuvent revendre à un tarif très encadré.

« Une aventure humaine exemplaire », a loué le maire de Villeurbanne, heureux que cette première pierre se superpose à celle d’un nouveau quartier, la ZAC des Maisons Neuves. « Un levier parmi d’autres pour lutter contre l’inflation immobilière », a renchéri le vice-président de l’agglomération. « Une volonté aboutie de se réapproprier et de maîtriser son habitat », s’est enthousiasmée à son tour Marie-Odile Novelli pour la région Rhône-Alpes.

Fournisseur du foncier, l’édile de l’agglo¬mération lyonnaise a cependant déploré les « systèmes dérogatoires » auxquels il faut recourir pour accompagner de tels projets coopératifs. Malgré 60 ans de pratique, Rhône-Saône Habitat, le bailleur social qui a accompagné le projet, a déployé des « trésors d’imagination » dans son montage. « L’histoire de notre association a été très mouvementée, explique quant à elle Cécile. Certains ont baissé les bras, notamment à l’arrivée du deuxième enfant. C’est un investissement, mais quelle richesse, l’esprit coopératif ! »

D'AUTRES INITIATIVES DANS LE MONDE

Une cinquantaine de tentatives ont cours en France. En Suède, l’habitat coopératif a pris ses quartiers dans 17 % du parc immobilier. Il concerne 15 % des logements en Norvège avec un pic de 40 % à Oslo. Idem en Suisse, avec une moyenne de 8 %, grimpant jusqu’à 20 % dans certaines grandes villes. Ou encore au Québec, qui soutient et finance lui aussi les coopératives d’habitants.« Condition sine qua non pour que ces initiatives essaiment en France, le cadre réglementaire et législatif doit être adapté », décrypte Emma¬nuel Vivien, d’Habicoop.

Aujourd’hui, l’absence de statut oblige à une véritable gymnastique administrative. D’où l’appel à soutien lancé à l’automne par cette association conseil, partenaire du Village Vertical, et par la Fondation Abbé Pierre. En dix ans, le coût du logement a augmenté de 107 %, interpelle le manifeste (3), pendant que les revenus croissaient de 17 %. Les accédants à la propriété doivent y consacrer près de 43 % de leurs revenus.

Parce que la coopérative propose un autre rapport au patrimoine, l’architecte Françoise-Hélène Jourda a tenu à faire partie des signataires. « Il faut sortir des règles du marché courant. Parce que les biens immobiliers sont destinés à être vendus et revendus, d’autant plus en temps de crise où ils constituent une valeur refuge, ils sont le plus conventionnels possible, en totale inadéquation avec les souhaits des usagers. Il est urgent que les habitants reprennent le pouvoir sur leur lieu de vie. »

Sur le front politique, certains tentent aussi de raviver la loi de 1947, mise au rencart en 1971 par le ministre Chalandon pour ce qui concerne les coopératives. Une proposition de loi a été déposée le 23 juin au Sénat et sera discutée prochainement à l’Assemblée nationale."

Lire aussi :

Recma n° 313 "L’habitation communautaire au Québec, un bilan des trente dernières années" de Marie J. Bouchard et "Les coopératives d’habitants : une troisième voie du logement à développer" de Bertille Darragon