L’ESS peut-elle permettre de vivre sans Amazon ? Une agora de La République de l’ESS
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La France a connu en 2020 un fort essor du commerce en ligne : une progression de 32 % selon la Fédération du e-commerce et de la vente à distance. En cause, la fermeture des commerces dits « non essentiels » (principalement non alimentaires) pendant les longs mois de confinements et de restrictions sanitaires, mais aussi les stratégies individuelles d’évitement des espaces fermés, dans un contexte de pandémie. Pourtant, les géants du e-commerce interpellent : Amazon a fait l’objet de nombreuses critiques sur son modèle social et écologique ; les périodes de soldes et d’ultra-consommation sont de plus en plus critiquées pour leur impact environnemental.
Fort heureusement, une volonté d’alternative se fait entendre comme l’illustre l’initiative du Green Friday pour contrer le Black Friday. C’est pour donner à réfléchir à des initiatives de ce type, nombreuses au sein de l’ESS, qu’en décembre 2020, la veille du Black Friday, ESS France, organe de représentation nationale, a créé le site flash éphémère « vivresansamazon » dans le cadre de son projet La République de l’ESS, afin que les expériences alternatives aux géants du e-commerce puissent s’y afficher, dialoguer entre elles, se fédérer. Rappelons que la République de l’ESS souhaite faire émerger une déclaration commune aux acteurs, familles, écoles de pensée de l’ESS, formalisant une vision du monde indépendamment des statuts et approches sectorielles qui peuvent coexister en son sein. Cette déclaration, toujours en cours d’élaboration, sera rendue publique lors du congrès de l’ESS qui se déroulera le 2 décembre 2021 et servira également de tribune dans la campagne présidentielle. Au bout de quelques semaines, le site flash « vivresansamazon » ayant permis le repérage de structures dans le domaine du réemploi en ligne (Label Emmaüs, Rebelote) et des plate-formes sociales et solidaires (l’électronique responsable avec Commown, le covoiturage libre avec Mobicoop...), une agora a été organisée sous forme de webinaire le 26 janvier 2021, animée par Romain Slitine, enseignant chercheur à Sciences Po et membre du collectif d’animation de La République de l’ESS. Pour répondre à la question « L’ESS peut-elle permettre de vivre sans Amazon ? » plusieurs personnes ont témoigné : Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, qui agit en faveur du respect des droits humains au travail dans le monde et de la reconnaissance du droit à l’information des consommateurs sur la qualité sociale de leurs achats ; Maud Sarda, cofondatrice et directrice du Label Emmaüs (la boutique avec un catalogue exclusivement alimenté par des acteurs du Mouvement Emmaüs et ses partenaires de l’ESS) ; Vera Da Cunha, directrice du Livre vert, acteur bordelais du livre, avec un fonctionnement solidaire, local et agissant pour le réemploi.
Une contradiction entre valeurs et pratiques ?
La participation du public, organisée via la remontée des réactions du chat et surtout par un questionnaire soumis en direct aux participants, a révélé un consensus assez large autour de l’idée que le modèle général de consommation doit changer, une majorité depersonnes considérant même que l’ESS peut devenir une alternative massive à ce modèle de consommation si certains obstacles parviennent à être surmontés. Pourtant, paradoxalement, parmi ces mêmes participants, 55 % avaient eu recours à Amazon en 2020 et 45 % pensaient le faire en 2021. Les solutions de facilité offertes par lesplateformes telles qu’Amazon (délais de livraison toujours plus courts, prix imbattables, etc.) ont encore l’ascendant sur la recherche de consommation responsable, y compris chez des personnes sensibles (voire convaincues) aux enjeux de l’économie sociale et solidaire.
En dépit de cette contradiction, les participants ont apporté des dizaines de commentaires et d’idées sur ce qui pourrait amener l’ESS à devenir une alternative plus massive, plus accessible et plus identifiable, comme la création d’une plateforme commune à toute l’ESS, la mise en œuvre d’un label ESS, l’élaboration de campagnes de sensibilisation des citoyens, etc.
Des enjeux de pédagogie et de communication
Autre constat issu de l’agora : l’ESS ne peut se présenter comme un concurrent direct à ces super-plateformes, même en imaginant un gigantesque effort de convergence et de collaboration. Jamais l’ESS ne pourra proposer une offre aussi globale et disponible à la livraison en vingt-quatre heures, et ce n’est d’ailleurs pas sa vocation. Il faudrait donc une autre approche, moins frontale, mais prenant appui sur les points forts de l’ESS : les valeurs de solidarité, de durabilité, et le fonctionne- ment plus respectueux des salariés. L’enjeu est surtout de rendre visible ce que l’ESS peut proposer, en expliquant que cette alternative peut avoir un coût plus élevé pour le consom- mateur, mais que, en contrepartie, le coût sera plus léger pour l’environnement et la société. Pour atteindre ce stade, beaucoup ont estimé qu’une plateforme commune était idéale pour donner de la visibilité à l’ESS dans toute la diversité de ses initiatives d’achat en ligne. Ceci suppose un travail dans le champ de la communication et du marketing... en même temps qu’une capacité à faire mouvement au-delà des différences d’activités et de statuts au sein de l’ESS, ce que les participants ont bien identifié durant le webinaire.
Antoine Goulard
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