Les nouvelles formes de solidarité dans un monde en mutation (Sfax, novembre 2010)

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Un colloque international organisé par le département de sociologie de la faculté des lettres et sciences humaines de Sfax (Tunisie) sur le thème de la solidarité a réuni en novembre 2010 des chercheurs maghrébins, français, québécois, brésilien et du Qatar. Prenant acte de la mutation des solidarités traditionnelles et de l’émergence simultanée de pratiques inédites face à l’hégémonie mondiale du libéralisme, l’argumentaire du colloque invitait à un renouvellement des approches sur la solidarité.

 

Pour une anthropologie économique

Si l’économie sociale et solidaire n’était pas le thème central du colloque, elle s’est naturellement taillée la part belle dans cette réflexion collective, introduite par deux sociologues référents de l’ESS, Jean-Louis Laville (France) et Benoît Lévesque (Québec). Faisant le constat d’une privatisation de la responsabilité sociale, marquée par un repli vers la compassion et les pratiques caritatives, J.-L. Laville a insisté sur l’urgence de réintroduire les notions de redistribution et de réciprocité, en s’appuyant sur l’idée que "Le lien doit précéder le bien", ce qu’exprime également B. Lévesque par le concept de « réencastrement » de l’économie dans la société. Rappelant que les territoires de l’ESS sont des territoires orphelins où personne ne veut aller, le sociologue québécois a émis l’idée que la crise actuelle pouvait constituer l’opportunité pour les organisations de l’ESS de se lancer dans une nouvelle vague d’innovations sociales et ainsi d’amorcer une stratégie de transformation progressiste de la société.

Des histoires et des contextes très différents

Les réactions des sociologues tunisiens ont porté sur la difficulté d’appliquer les grilles d’analyse occidentales aux pays en voie de développement, qui ne connaissent pas la même historicité. De même qu’il faut s’entendre sur le terme de « société civile », qui peut avoir des acceptions différentes selon les cultures. Lorsque les chercheurs maghrébins évoquent le recul du caritatif (et donc d’une solidarité consciente) et l’emprise concomitante d’une solidarité "mécanique" orchestrée par l’Etat, les occidentaux constatent dans leurs propres pays un recul des formes institutionnalisées, notamment de la protection sociale (Patricia Toucas-Truyen), et une régression vers l’assistance (J.-L. Laville). Cependant, l’exposé de Ridha Abdmouleh sur la réforme de la CNAM en Tunisie montre que cette institution organisée sur le modèle français est pareillement touchée par l’abandon de l’éthique solidaire, qui se traduit par une libéralisation du secteur de la santé et un essor de la médecine privée.

Les sociologues tunisiens (Ridha Ben Amor) pointent le déclin des solidarités traditionnelles (vicinales, familiales), entériné il y a quelques décennies dans les pays occidentaux, tandis que ces mêmes solidarités semblent aujourd’hui connaître un renouveau, dans le contexte d’une crise aigüe. Retraçant l’évolution des rapports entre le pouvoir politique et les associations en Algérie depuis l’Indépendance, Hamel Mahdia montre que « de la marginalisation contenue au partenariat formel », la compétition entre public et associatif n’a jamais cessé.

La communication de Christian Guinchard sur les résurgences sociétaires en Franche-Comté illustre la thèse de l’ancrage historique de la vitalité associative d’un territoire. Toutefois, rien n’est figé, comme en témoigne le renouvellement permanent des pratiques solidaires et de leur interprétation au sein de la mutualité, pour laquelle la solidarité est une obligation paradigmatique (P. Toucas-Truyen). Dans les pays du Proche et du Moyen-Orient, la prévalence de l’Etat et la montée des nouvelles formes de solidarité héritées des sociétés européennes ont pu marginaliser, mais non exclure les solidarités archaïques tribales (Ayachi Onsor). En Tunisie, face à un Etat qui tend à se désengager de la gestion du social, on observe une reprise du lien social dans les communautés, les réseaux (Youssef Ben Romdane) et les associations (Moncef Guebsi). Au Brésil, l’œuvre catholique de la Pastorale de la personne âgée (Francisco Azevedo) fonctionne essentiellement sur le bénévolat, dans une démarche œcuménique. Convoquant les apports théoriques de Desroche, Mauss et Ricœur, Zina Ouaglal présente l’expérience trentenaire des Réseaux d’échange réciproques de savoirs (RERS).

Mondialiser la solidarité

Enfin, quelques communications se sont dégagées des pratiques identifiables comme appartenant à l’ESS pour évoquer d’autres formes de solidarité, qui s’inscrivent plutôt dans une logique d’émancipation par rapport à l’ordre établi. Ainsi le cas du syndicat des métiers des arts plastiques (Hamdi Ounaina) se présente comme une expérience inédite de résistance d’un groupe d’artistes aux canaux officiels de la promotion artistique en Tunisie. Plus radicale est l’action contestataire de l’antipublicité (Elise Viguier, France), mouvement né au Canada à la fin des années 1980 pour appeler à la décroissance et à la promotion d’une bio-économie. Cette forme de désobéissance civile non violente a fait des émules en Europe. En fait, on assiste à l’émergence de nouvelles solidarités qui s’appuient sur les technologies de la communication et de l’information numériques, permettant ainsi des mobilisations transnationales et supranationales (Ayachi Onsor, Qatar). Adossées au réseau des altermondialistes maghrébins, les revendications progressistes sur les droits des femmes ou la démocratie peuvent être portées en dehors de l’espace national (Bouchra Sidi Hida, Algérie). Si les réseaux de solidarité d’aujourd’hui n’ont pas l’homogénéité des organisations précédentes, en termes d’appartenance idéologique, ethnique ou nationale, ils regroupent des individus venant d’horizons divers sur une thématique précise : la défense de l’environnement, la lutte contre la pauvreté… Ils constituent donc une protection contre les effets négatifs corrélatifs de la mondialisation économique. En résumé, c’est la solidarité qu’il convient de mondialiser !

Patricia Toucas-Truyen