Le rôle de l’Etat dans l’économie sociale en Algérie, par C. Mustapha et B. Abdellah

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L’originalité de l’expérience de l’économie sociale en Algérie tient à la participation directe de l’Etat comme levier nécessaire d’animation et d’encadrement dans la reconstruction d’un lien social qui se délite, notamment sous les effets de la mondialisation. L’Etat-providence est en passe de devenir simplement régulateur tant sur le plan économique (restructuration) que sur le plan social (gestion des eff ets du programme d’ajustement structurel). Deux formes de solidarité ont caractérisé jusqu’alors l’économie sociale en Algérie. La première, ancestrale et religieuse, survit jusqu’à nos jours, mais elle a été restructurée par la voie associative. La seconde est la forme institutionnalisée à partir de l’Indépendance. Jusqu’en 1990, elle a été pilotée par l’Etat, dans le contexte de la construction d’une société à orientation socialiste.

Les formes de solidarité traditionnelle

La solidarité traditionnelle se manifeste soit dans le cadre religieux, soit dans l’organisation familiale ou tribale. Dans le premier cas, citons : les biens habous (terme désignant le droit relatif à la propriété foncière au Maghreb ; les habous publics sont des biens considérés d’intérêt général : hôpitaux, écoles religieuses…), les wakf, ou biens de mainmorte (il s’agit d’un bien inaliénable conservé au sein d’une famille ; lorsque la lignée s’éteint, le bien est aff ecté à des oeuvres charitables et devient un habous public) et la zakat, ou aumône, troisième pilier de l’Islam. Dans le cadre familial ou tribal, la touiza constitue une forme de coopération, sinon de développement communautaire, par le jeu du don contre don. La touiza est toujours pratiquée dans plusieurs régions de l’Algérie. Les actions de la touiza ont contribué à l’édifi cation des structures communautaires comme les mosquées, les écoles, les maisons, la voirie et l’assainissement, ainsi qu’à tous les travaux d’utilité communautaire : labours, semailles, moissons, etc. Ces formes de solidarité, religieuse ou communautaire, concourent au renforcement des liens sociaux et à la lutte contre toutes formes d’exclusion, de précarité et de pauvreté. Cette solidarité, organique, est assise sur le caractère communautaire de la construction sociétale de l’Algérie d’avant la colonisation. Citons par exemple les systèmes d’irrigation de la foggara dans certaines régions du pays, pratiques qui restent aujourd’hui fonctionnelles.

Ces mécanismes s’appuient sur les initiatives citoyennes et les réseaux d’entraide et contribuent au développement local. Ils sont coordonnés par un organe central, la djemaa, sorte de conseil de sages, qui au niveau local constitue une instance de concertation, d’arbitrage, de médiation dans les litiges et de prise de décision. Cette forme de solidarité est ancrée dans l’ethos du peuple algérien. Elle persiste jusqu’à nos jours, même si elle a été partiellement reprise ou remodelée par l’Etat dès 1962, sous la bannière d’un développement socialiste et participatif.

La solidarité institutionnalisée

La période 1962-1988 a été caractérisée par l’essor des associations, des coopératives et des mutuelles sous l’égide de l’Etat-providence. Cette économie sociale, qui s’articule entre un secteur public et un secteur marchand, a été un lieu essentiel d’apprentissage de l’esprit citoyen. Elle regroupe les coopératives, les mutuelles et les associations.

Des coopératives agricoles et industrielles ont été créées après l’Indépendance dans un enthousiasme partisan et patriotique pour sauver l’économie et la relancer suite au départ des colons. Notons au passage que les premières entreprises publiques sont nées du regroupement de ces coopératives, qui existaient dans tous les secteurs (bâtiments, travaux publics, agriculture et services de consommation). Ces coopératives ont ensuite été encadrées par l’Etat (exemple des domaines autogérés). A partir des années 90, d’autres coopératives ont vu le jour suite au processus de privatisation des entreprises publiques et locales. Leur fonctionnement s’inspirait de l’idéologie socialiste, revendiquée par le seul syndicat : l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), qui participait à la gestion de l’économie avec l’Etat.

Deux périodes caractérisent le mouvement associatif algérien. La première s’étend de 1962 jusqu’à l’année 1990 (ère du Parti unique) et la seconde à partir de 1990, caractérisée par l’ouverture, le multipartisme et la démocratie. Les associations de la première période ont remplacé en quelque sorte les formes traditionnelles de solidarité (djemaa, touiza, réseaux d’entraide, etc.). Leurs actions dépassaient souvent le niveau local, pour devenir de plus en plus spécialisées : associations de femmes, de personnes âgées ou handicapées, associations de volontaires (les Jeunes Travailleurs volontaires d’Algérie [JTVA] et l’Union maghrébine de l’action volontaire [UMAV], par exemple)… Cependant, ces actions du mouvement associatif étaient contrôlées par les pouvoirs publics ou canalisées selon l’idéologie offi cielle. Au cours de la seconde période, en revanche, la nouvelle constitution et la nouvelle loi d’association (loi du 4 décembre 1990) ont permis l’émergence d’un mouvement associatif d’un niveau qualitatif plus élevé. Les associations s’érigent en tant que groupe de pression, autonome par rapport à l’Etat et aux partis politiques. Leur éventail d’action s’élargit (associations de consommateurs, de l’environnement, de cités, de quartier, de jeunes, etc.). Tous les domaines sont investis par ces associations. L’ordre communautaire traditionnel se transforme progressivement avec l’avènement d’un comportement citoyen. La société civile se trouve contrainte d’évoluer pour sauvegarder ses acquis et défendre ses intérêts dans le tumulte du changement, ce qui l’amène à se mobiliser et à s’organiser. On assiste alors à la naissance d’une conscience sociale.

Les fonctions des mutuelles sont plus liées à l’assurance sociale et à certaines activités annexes qui ne concernent que les adhérents. En fait, ces mutuelles appliquent une solidarité basique et sont structurées en fonction de leur secteur respectif (entreprises, administration, éducation, services, etc.). Il s’agit d’organismes libres, auxquels l’adhésion n’est pas obligatoire. Ces mutuelles mènent une action de prévoyance et d’entraide, dans les conditions prévues par la loi et les statuts (loi du 25 décembre 1990), afi n de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l’amélioration de leurs conditions de vie. Régies aussi par la loi de 1990 relative aux associations, ces mutuelles sont actuellement au nombre de trente-deux, dont neuf appartiennent à la fonction publique. Elles interviennent en complément à la sécurité sociale. Au-delà de l’action menée en faveur de leur sociétariat, ces mutuelles ont un eff et régulateur qui leur vaut d’être reconnues d’utilité sociale. Elles sont fédérées au niveau national par un comité de coordination. L’Etat cherche actuellement à la fois à les développer et à mieux les encadrer.

Une économie sociale orchestrée par l’Etat

L’économie sociale sous sa forme moderne est apparue en Algérie en 1996, afi n d’atténuer les eff ets de la transition vers l’économie de marché, transition qui s’accompagne d’un accroissement des exclusions, de la pauvreté et du chômage. Au cours des années 90, le programme d’ajustement structurel (1994-1997) a été mis en oeuvre sur la recommandation du FMI. Dès lors, la notion d’économie solidaire et sociale a été reprise dans le discours des pouvoirs publics, pour qualifi er des mesures d’urgence initiées en réponse aux maux sociaux.

En 1996, parallèlement à la mise en place d’un ministère de la Solidarité et du Travail, a été créée l’Agence de développement social (ADS), dont les actions prioritaires tournent autour du filet social, de la création d’emplois et du développement des initiatives de proximité, comme la promotion des micro-crédits, des micro-activités et la création de petites entreprises. Sa mission est de développer une économie d’insertion touchant une population vivant dans une précarité sans précédent. Le processus de construction de cette économie sociale « par le haut » s’accompagne d’eff orts pour impliquer la société civile, pour encourager la participation citoyenne dans la lutte contre la pauvreté et le chômage. « Initiative » et « solidarité » deviennent les maîtres-mots de la mise en place des diff érents dispositifs.

Ainsi, en dehors de la forme traditionnelle et religieuse, l’économie solidaire tend à se confondre avec les mesures publiques d’insertion professionnelle. Elle est en grande partie alimentée par des fonds publics, dont l’objectif, dans ces moments diffi ciles, est la recherche d’une paix sociale. Ces dispositifs constituent actuellement l’instrument central sur lequel s’appuie « la politique de l’économie solidaire et sociale » en Algérie.

Toutefois, les pesanteurs sociales demeurent, tant la notion de service public reste ancrée dans les mentalités, ce qui ne favorise pas le développement de l’esprit entrepreneurial et la prise d’initiative. L’émergence des pratiques de l’économie sociale et solidaire se heurte à un environnement social réfractaire au changement. En raison de leur caractère inédit, il est encore trop tôt pour les conceptualiser ou même les évaluer correctement. Il reste que ces expériences sont incontestablement positives, car en tant qu’espaces d’innovations sociales elles participent à la cohésion de la société.

Charif Mustapha et Benmansour Abdellah, université de Tlemcen, Algérie

Texte paru dans le numéro 321 de la Recma