Coopératives et mondes agricoles. France et Italie (1880-1950)
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Niccolo Mignemi
Presses universitaires de Rennes,
2017, 337 pages.
Le monde des coopératives agricoles est un objet de recherche trop délaissé par les historiens de la coopération. Voici un ouvrage qui s’y intéresse et propose des éléments de comparaison qui font encore largement défaut de nos jours : l’auteur quitte le registre des idées et des « mythes fondateurs » de la coopération – aussi passionnants et nécessaires soient-ils – pour investir les pratiques réelles des coopérateurs, en situation. Celles-ci ne sont pas évidentes à cerner, la mise en œuvre d’une analyse micro-historique n’étant pas chose aisée. Il faut reconnaître ici l’importance du travail d’archiviste pour croiser les sources de façon à reconstituer les luttes et les négociations locales, même si l’on peut regretter la faible part que consacre l’ouvrage à l’étude des pratiques de la coopérative La Rinascita, exemple passionnant qui apparaît tardivement dans l’ouvrage. L’usage heuristique et réfléchi des statistiques et de la cartographie, qui donnent un véritable relief aux hypothèses de l’auteur dont l’objectif est de montrer comment les systèmes agraires informent des trajectoires coopératives, est à saluer.
Deux histoires en miroir
L’ouvrage est scindé en deux parties, qui réduisent peu à peu la focale d’analyse. La première, intitulée « France et Italie, deux histoires en miroir », compare les trajectoires nationales des coopératives agricoles en replaçant ces dernières dans le mouvement plus général de modernisation des campagnes en France et en Italie, entre les années 1880 et les années 1950. Si le cas français reste relativement nébuleux, faute d’ancrage empirique marqué, le cas italien est plus étayé : l’auteur y avance en effet plusieurs pistes de recherche destinées à « reconsidérer » les idées répandues dans la littérature, dont celle, par exemple, d’une « suspension du mouvement [coopératif] italien » dans l’entre-deux-guerres. Loin d’être suspendu, ce mouvement, qui était alors très politisé, s’est transformé au profit d’une conception purement technique de la coopération. Autre idée répandue et remise en cause par l’ouvrage, celle des rapports conflictuels entre courants coopératifs socialistes et catholiques. En pratique, ces courants ont souvent fait cause commune, en dépit de leurs objectifs différents. Les propos sont accompagnés de données statistiques permettant de suivre l’évolution chiffrée des coopératives, ainsi que l’évolution législative les concernant.
Les deux chapitres suivants s’intéressent au processus d’institutionnalisation des coopératives, là encore dans une perspective comparatiste. Le premier traite de la façon dont les coopératives se sont développées, en relation d’autonomie ou de dépendance vis-à-vis des syndicats agricoles, des idéologies politiques et des pouvoirs publics. Le propos est décliné à partir d’un type spécifique de coopérative : les coopératives d’affermage ou fermages collectifs, qui sont originaires de l’Italie du début du XXe siècle. Le second s’intéresse aux périodes corporatistes de l’Italie et de la France, soit le fascisme et le régime de Vichy. Si le chapitre se fait avare en contextualisations historiques, l’analyse de la façon dont les coopératives agricoles sont instrumentalisées par les deux régimes politiques est passionnante : cette période apparaît en effet comme un moment de transition majeur pour la reconnaissance institutionnelle des coopératives, et non comme une parenthèse dans l’histoire de la coopération.
Poids de la structure agraire dans le Latifondo italien
La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse aux terres agricoles céréalières de la Sicile intérieure, connues sous le terme de Latifondo. Il s’agit pour l’auteur de mettre en relief le développement des formes associatives et des coopératives agricoles depuis le XIXe siècle, en les inscrivant dans la structure agraire, économique et sociale d’une région mise au ban des échanges commerciaux. Le mouvement coopératif s’y développe grâce à l’action des pouvoirs publics et du crédit agricole, non sans résistance de la part des grands propriétaires fonciers qui pratiquent le fermage et le métayage. Ce faisant, l’auteur montre que l’adhésion des ouvriers agricoles aux coopératives relève moins d’un choix poli- tisé que d’une opportunité d’amélioration de leurs conditions matérielles à l’échelle locale. Les lois Visocchi-Falcioni de 1919-1920 sur les terres incultes sont ici centrales, puisqu’elles autorisent les coopératives agricoles à « confisquer » les terres sous exploitées ou mal exploitées par les propriétaires, afin d’en céder la concession à leurs sociétaires. Les rapports de force entre les petits paysans désireux d’accéder à la terre et les grandspropriétaires deviennent ainsi structurants : « terres occupées, terres disputées », le cas de la coopérative La Rinascita, étudié dans le dernier chapitre, est particulièrement parlant pour montrer comment se négocient, localement et en pratique, les stratégies des acteurs pour l’accès à la terre, y compris entre coopératives concurrentes. L’ouvrage se clôt sur le constat d’un déclin des coopératives dans la Sicile des années 1950, du fait de la modernisation du secteur agricole : délaissant leur fonction d’aide à l’acquisition des terres, elles s’orientent davantage vers le stockage et la commercialisation des cultures céréalières. Nous terminerons cette recension sur un regret. À un terrain dense, complexe et nuancé, répond un style d’écriture trop concis, souvent allusif et surtout très fragmenté. Le lecteur peine à suivre la ligne argumentative au fil des pages : l’auteur nous fait virevolter d’un paragraphe à un autre sans hiérarchi- ser ses objets et sans nous indiquer la trame de son raisonnement. On aurait aimé que l’ouvrage soit aussi clair que sa préface. Sans doute aurait-il fallu pour cela se résigner à écrire deux livres.
Marine Dhermy-Mairal