Aide à domicile et services à la personne : les associations dans la tourmente
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Petrella F. (dir.). Presses universitaires de Rennes, « Economie et société », 2012.
Cet ouvrage, dont la direction a été assurée par Francesca Petrella, de l’université d’Aix- Marseille, associe dix chercheurs, économistes, gestionnaires ou sociologues, appartenant à six laboratoires universitaires français. Il fait se croiser de façon intéressante des points de vue permettant de comprendre la situation actuellement critique des associations d’aide à domicile, directement affectées par les évolutions de la régulation publique depuis un quart de siècle. Cette actualité accroît l’intérêt de l’ouvrage non seulement pour les chercheurs qui étudient la question plus large des services à la personne, mais aussi pour les étudiants en travail social et en gérontologie, comme pour les acteurs privés ou publics engagés dans les activités d’aide à domicile en tant qu’entrepreneurs, salariés, clients ou responsables des politiques familiales et gérontologiques.
Un premier chapitre (Fraisse, Gardin) apporte un éclairage historique sur les conditions de l’émergence des métiers et des activités de l’aide à domicile et sur le rôle essentiel des associations, en s’appuyant notamment sur les travaux originaux de Bruno Duriez et de Jean Nizey. Il permet de comprendre la situation actuelle, où un enchevêtrement de régulations complexes encadre de manière plus ou moins cohérente les activités des associations.
Dans le chapitre suivant (Jany-Catrice, Lefebvre), on découvre les tendances lourdes qui traversent le secteur de l’aide à domicile. L’extension de la sphère marchande, décrite également dans d’autres chapitres de l’ouvrage, vient transformer un service d’aide auparavant clairement inscrit dans l’action sociale. Le rôle de la loi Borloo est détaillé et son bilan interroge nécessairement. Face à la banalisation de leur activité et du service rendu, les associations sont souvent en difficulté pour développer des stratégies leur permettant de résister à un processus d’homogénéisation qu’elles perçoivent comme un danger.
Nadine Richez-Battesti et Francesca Petrella ouvrent ensuite un débat sur la multiplication des démarches qualité engagées dans le secteur ces dernières années. Inspirées par un transfert des méthodes du secteur privé pour l’industrie et les services (normes Afnor, Qualicert, Bureau Veritas), ces démarches semblent garantir davantage la capacité organisationnelle des associations à rassurer et à satisfaire les attentes de leurs clients que la qualité de chaque service singulier apporté aux personnes et aux ménages. Si des réserves sont avancées quant au risque d’isomorphisme qui peut accompagner la démarche qualité en minimisant la dimension relationnelle et participative dans la co-construction du service rendu, la démarche qualité peut aussi être envisagée comme un processus mobilisateur susceptible de renforcer la spécificité de la production associative et donc vecteur d’une différenciation.
Le chapitre suivant (Messaoudi) vient prolonger fort utilement cette analyse. Centrée sur l’adaptation de la qualité aux attentes des seules personnes âgées, la contribution distingue deux dimensions : la qualité de l’organisation et la qualité du service directement liée aux compétences des professionnelles de l’intervention. Cela lui permet de dégager une typologie avec quatre modèles de qualité : construite sur la dimension relationnelle ; fondée sur les compétences professionnelles dans le cadre de règles contractualisées ; évaluée par le prix et la productivité du salarié; technique et garantie par des standards. Cette typologie permet, d’une part, de préciser les points clés de l’articulation des capacités organisationnelles et des compétences des professionnelles pour la qualité du service attendu par une personne âgée et, d’autre part, de mieux saisir l’impact, sur l’ensemble du secteur de l’aide à domicile, de l’entrée d’entreprises commerciales et de modèles industrialistes. Ces deux facteurs favorisent plutôt les deux derniers modèles de qualité au détriment des deux premiers.
C’est aussi cette question qui est reprise par Emmanuelle Puissant, prolongeant son travail de thèse. Assimilant industrialisation et professionnalisation (ce qui pourrait être discuté), elle fournit des arguments convaincants en faveur des stratégies de résistance adoptées par certaines associations d’aide à domicile, en montrant l’incompatibilité entre le recours à des outils de gestion issus de la sphère industrielle et la préservation de la « relation d’usage » construite dans l’histoire par les associations. Un autre argument en faveur du modèle associatif est développé par Annie Dussuet. Il garde une pertinence certaine pour la prévention des risques de santé auxquels sont exposés les professionnels, et cela notamment pour prendre en compte le vieillissement des aides à domicile. Le rôle du travail indirect (encadrement de proximité, réunion de professionnels, etc.) apparaît essentiel. Bien sûr, il pèse sur les coûts, et le jeu de la concurrence par les prix auquel se livrent aussi les autorités de tutelle pourrait conduire à un retour accentué des services d’aide vers le modèle domestique, avec les risques inhérents au déficit de régulation de l’organisation du travail.
Le dernier chapitre (Petrella, Maisonnasse, Richez-Battesti) vient compléter cette analyse en soulignant le rôle que peut jouer la gestion des ressources humaines (GRH) dans la recherche de la performance globale vers laquelle la compétition accrue et les nouvelles règles du management public poussent les associations. Les investissements des associations dans ce domaine semblent importants si l’on en juge par l’étude conduite dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Cependant, les auteurs relèvent le caractère déterminant de l’adossement des associations à des collectifs (des fédérations, notamment) et de l’implication des conseils d’administration pour une démarche réussie.
Les fragilités, mais aussi les potentialités des associations ayant été mises en évidence par l’ensemble des auteurs, la conclusion tente d’esquisser des scenarios d’évolution possible. Ceux-ci ouvrent des pistes de réflexion utiles et, au terme de cette lecture à l’expression claire et sans jargon inutile, le lecteur est en mesure de comprendre les enjeux qui restent en suspens pour l’avenir. Il dispose grâce à cet ouvrage des outils d’analyse pour comprendre les leviers d’action dans ce domaine dont les enjeux politiques, économiques et sociaux pour une société vieillissante sont considérables.
Henry Noguès
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