La Recma et la vocation politique

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Ce numéro comprend des articles qui témoignent de la diversité et de la complexité de l’économie sociale. Il illustre assez bien l’identité de la Recma. La Recma est d’abord une revue à caractère scientifique. Elle présente l’actualité des questionnements des praticiens et des chercheurs, elle recense les ouvrages et elle publie des études et des recherches sur l’économie sociale : sur les coopératives, les mutuelles, les associations, c’est-à-dire sur les groupements démocratiques de personnes, et sur les relations que ces groupements entretiennent avec l’ensemble des institutions et des acteurs politiques et sociaux.
La Recma s’inscrit dans une démarche pluridisciplinaire en publiant des travaux de toutes les sciences économiques et sociales. Ce seul numéro accueille des articles d’histoire, d’économie, de sociologie, de droit et de science politique. Revue internationale, son champ n’a pas de frontière géographique. Chaque numéro comprend un ou des articles portant sur différents pays ou répondant à des problématiques internationales.La Recma valorise la production scientifique définie au sens large.
Elle s’intéresse non seulement aux recherches mais également aux études, c’est-à-dire aux travaux qui dévoilent un inédit avec la rigueur de l’observation scientifique sans inclure nécessairement une mise en perspective théorique. Ces études, qui prennent place dans le corps des numéros et dans la rubrique des varias, sont essentielles. Dans un hommage aux monographies régionales, François Boudot soulignait que « ce sont certainement celles qui permettront aux historiens de demain de décrire le plus fidèlement dans le temps et dans l’espace le grand mouvement économique et social qu’est la coopération » (François Boudot, « De la coopération comme représentation et comme volonté », REC, n° 98, 1954, p. 201-206.).
La Recma ouvre ses pages aux « chercheurs praticiens ». Aux côtés des universitaires, les praticiens publient des travaux qui offrent un regard différent sur l’économie sociale et solidaire, soutenus par des savoirs expérientiels dont la singularité a mainte fois été soulignée (Par exemple, par l’ethnométhodologie de H. Garfinkel ou l’approche constructiviste en épistémologie de J.-M.. Besnier) . Conçue et rédigée par des chercheurs universitaires et par des chercheurs praticiens, la Recma constitue un lieu de rencontre, dont témoignent également les « Dialogues matinaux » qu’elle organise trimestriellement.
La Recma s’intéresse non seulement aux travaux réflexifs mais également aux recherches prospectives et projectives. Ainsi en est-il de l’article sur la loi coopérative utopique publié dans ce numéro. L’écriture projective n’est pas incompatible avec la recherche scientifique, qu’on a parfois tendance à limiter aux travaux réflexifs. « Conception imaginaire de l’acte situé dans le futur » le projet apparaît ici comme une « forme particulière de la conscience réflexive » (François-André Isambert., « Alfred Schütz entre Weber et Husserl », Revue française de sociologie, n° 30(2), 1989, p. 299-319.) .

Une revue résolument ouverte
Ces ouvertures ancrées dans presqu’un siècle de parution font l’originalité de la Recma. Est-elle d’actualité dans ce temps où la spécialisation s’impose ? Les disciplines scientifiques s’inscrivent dans des fonctionnements institutionnels de plus en plus précis et exclusifs les uns des autres, les organisations de travail font face à des situations de plus en plus complexes et spécifiques, la communication elle-même, qui n’a jamais semblée aussi aisée, révèle par son excès, de nouveaux problèmes sociétaux.
Les réponses sont dans les textes qui composent ce numéro : pour divers qu’ils soient, les travaux publiés dans ce numéro 352 déconstruisent de fausses évidences ou questionnent des pratiques que la banalisation nous font considérer comme inévitables : n’est-il pas étonnant que la question de la santé humaine se pose aujourd’hui en termes de marché ? Jean-Paul Domin et Amandine Rauly montrent précisément les effets sélectifs de l’essor du marché de la téléconsultation médicale. N’est-il pas surprenant que l’on puisse étudier l’innovation en dehors d’une théorie du changement ? Emmanuelle Besançon et Nicolas Chochoy énoncent les limites de celle-ci et plaident pour une pluralité des évaluations des innovations sociales. Que penser d’un droit coopératif commun à tous les types de coopératives ? Chantal Chomel interpelle le signataire de cet éditorial et l’équipe de juristes animée par David Hiez propose « un texte légistique profitable à l’ensemble des formes coopératives ». Un travail remarquable qui suscitera, à coup sûr, réflexions et réactions. Éric Lebouteiller étudie deux loges maçonniques françaises qui, au début du 20 e siècle, se consacrèrent au projet coopératif. Tsvetelina Marinova explore la pensée coopérative bulgare issue du croisement des idées coopératives françaises et d’Europe orientale. Enfin Marc Mees, Dominique Morel et Pape Assane Diop présentent le rôle des organisations paysannes en Afrique de l’Ouest, rappelant qu’en dépit de l’urbanisation galopante du continent, l’agriculture familiale et ses organisations représentent dans la région la plus grande source de revenus et de moyens d’existence de la majorité de la population et nourrit les capitales à hauteur de 75 %.

Publiant des travaux de toutes disciplines des sciences humaines, réalisée par des chercheurs et des praticiens, tournée vers la théorie ou vers l’action, de nature réflexive ou projective, et intéressant des questions qui touchent tous les continents, la Recma invite à confronter les savoirs scientifiques à l’action et à questionner la neutralité de la recherche tout comme l’engagement social. A celles et ceux qui font l’économie sociale et solidaire, elle donne les moyens d’une vocation politique renouvelée : « L’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité ne sont pas contradictoires, mais elles se complètent l’une l’autre et constituent ensemble l’homme authentique, c’est-à-dire un homme qui peut prétendre à la «vocation politique » (Max Weber, Le Savant et le Politique, Plon, 1959, p. 183.) .

Jean-François Draperi

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