Militants de l’utopie ? Les Fouriéristes dans la seconde moitié du XIXe siècle

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Bernard Desmars, Dijon, Les Presses du réel, 2010, 430 p.

Si l’œuvre de Charles Fourier a été beaucoup étudiée, notamment depuis deux décennies, celle du devenir de sa doctrine après sa mort en 1837 restait largement à découvrir. En ce domaine, trois hypothèses étaient suggérées de façon plus ou moins explicite par les historiens mais elles n’avaient guère été vérifiées. Comme de nombreux Saint-Simoniens, les Fouriéristes auraient renié leurs convictions et se seraient « adaptés » au capitalisme. Seconde possibilité, ils auraient tenté de concrétiser le fouriérisme dans des colonies icariennes, le plus souvent aux Etats-Unis, mais ces initiatives se seraient soldées par un échec. Ou enfin, ils auraient attendu, mais vainement, le Nouveau monde annoncé par les prophéties socialistes. 

Bernard Desmars montre qu’au delà de ces visions réductrices, le fouriérisme, en tant que doctrine, a survécu à l’échec de la Seconde République puis, après avoir pu se maintenir tant bien que mal aux débuts du Second Empire, qu’il a commencé à se reconstruire à l’orée de la décennie 1860.

Les Fouriéristes et l’essor coopératif

Non sans mal, les disciples du Maître réorganisent le mouvement sociétaire autour de la Librairie des sciences sociales et d’un périodique, La Science sociale, en se réunissant, comme ils le peuvent, à Paris et en province. Mais leur action n’est pas que théorique. Certains ont jeté depuis 1845 les bases d’une exploitation agricole à Saint-Denis du Sig en Algérie, exploitation qui subsistera jusqu’à la fin de la décennie 1880. Constitué dans le courant des années 1850, la Société agricole et industrielle de Beauregard à Vienne (Isère) animée par Henri Couturier connaît une certaine renommée, mais elle périclite à partir de la décennie 1880. Ces deux communautés juxtaposent des individus de tous les âges, en associant dans un esprit fouriériste activités de production, de consommation et de loisirs. D’autres réalisations d’inspiration fouriériste sont assez différentes. Née un peu plus tardivement d’une société de secours mutuels, la Maison rurale d’expérimentation sociétaire de Ry, proche de Rouen, est animée par le médecin Adolphe Jouanne : elle se spécialise dans l’enfance en se concentrant sur les tâches éducatives et elle poursuivra ses activités jusqu’en 1885. Enfin, le Ménage sociétaire de Condé sur Vesgres, en forêt de Rambouillet, après un premier départ en 1832, tente d’organiser une vie communautaire au début des années 1860 ; mais il ne survivra guère à la décennie 1870.

A travers ces réalisations ainsi que quelques autres plus réduites, les fouriéristes de l’Ecole sociétaire participent à l’essor du mouvement coopératif qui prend alors son envol à travers diverses coopératives de consommation et de production. Pour ne prendre qu’un exemple, Faustin Moigneu, qui contribuera au développement de la Banque des sociétés ouvrières de production créée en 1893 s’est d’abord intéressé à différents projets d’association agricole  dans les années 1870-1880. En revanche, les fouriéristes ne semblent jouer qu’un rôle marginal dans la constitution des organisations ouvrières et d’abord l’Association internationale des travailleurs (ou Première Internationale). En somme, alors que beaucoup de Saint-Simoniens participent au développement du capitalisme industriel et bancaire sous le Second Empire, les Fouriéristes ont de leur côté une certaine influence sur les sociétés de secours mutuels, même si on ne connaît encore bien mal les animateurs de ces dernières à partir de leur « notabilisation » par Napoléon III en 1852. Mais en fin de compte, c’est au sein du mouvement coopératif que les Fouriéristes auraient été particulièrement actifs. Cette hypothèse particulièrement stimulante devra être vérifiée dans de futurs travaux sur l’histoire du mouvement coopératif, histoire qui reste largement à écrire.

Une histoire sociale en action

La plupart de ces initiatives fouriéristes sont affectées par la Guerre de 1870-71 puis par la Commune de Paris. Certaines connaissent ensuite un nouveau départ et il se tient même un congrès fouriériste en 1872. La lente réorganisation du mouvement ouvrier qui s’effectue alors — il est soumis durant plusieurs années à des mesures répressives — favorise dans un premier temps l’option coopérative : telle semble la voie retenue lors du premier congrès ouvrier tenu depuis la Commune, à Paris en 1876. Mais ensuite, en dépit de l’effort de certains militants, le mouvement sociétaire entame un déclin qui s’aggrave durant la décennie suivante, tant en raison de tensions internes que du vieillissement ou de la disparition de la plupart de ses membres.

A travers le tableau de ces réalisations ainsi qu’une approche très fine des militants qui les animent Bernard Desmars fait revivre une histoire sociale fort mal connue : il nous apprend beaucoup sur l’émergence de sociétés de secours mutuels, de coopératives et d’associations de toutes sortes que ces militants ont mis sur pied. Si on en connaissait quelques uns comme Jean-Baptiste Godin, que savait-on de ces épigones fouriéristes que furent l’ingénieur polytechnicien Nicolas Lemoyne, auteur de la « doctrine hiérarchique fusionnaire » ou Hippolyte Destrem, adepte du « logico-juridisme » ? Et de bien d’autres que l’auteur, grâce à une plongée dans des archives et une littérature peu utilisée jusqu’alors, fait revivre dans toute leur diversité.

Un seul petit regret : cet ouvrage ne comporte pas d’index des noms de personnes ; elles sont fort nombreuses et un tel index eut facilité bien des recherches. Cela dit, il faut souligner l’importance de cet ouvrage qui montre l’ampleur de la génération fouriériste et son empreinte sur la société dans la plus grande partie du XIXe siècle. Cette histoire sociale en action était jusqu’alors aussi méconnue que passionnante et il faut remercier Bernard Desmars pour en avoir restitué toute la richesse.

Michel Dreyfus