Au Royaume-Uni, la New Economics Foundation veut étendre le modèle coopératif à l’entreprise classique

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En juillet 2018, la New Economics Foundation (NEF), un think tank britannique qui se consacre à la promotion d’une autre économie, a publié une étude titrée « Co-operatives unleashed » (« Libérer la dynamique coopérative ») et sous-titrée « Doubling the size of the UK’s co-operative sector » (« Doubler la taille du secteur coopératif du Royaume-Uni »). Cette étude avait été commandée par le Co-operative Party, créé en 1917 à l’initiative du mouvement coopératif et étroitement lié au Labour Party, le parti travailliste. L’intention est claire : il s’agit d’établir les conditions qui, selon les auteurs Mathew Lawrence, Sarah Mahmoud et Andrew Pendleton (Mathew Lawrence est chercheur à l’Institute for Public Policy Research (IPPR), un des principaux think tanks anglais, proche du Labour, Sarah Mahmoud est économiste à la NEF et Andrew Pendelton directeur du plaidoyer à la NEF), permettraient de doubler d’ici à 2030 la taille du secteur coopératif, qui reste assez faible comparée à celle d’autres pays comme la France ou l’Italie. La mise en place d’une politique publique proactive de soutien aux coopératives et l’instauration d’un environnement favorable libéreraient leur potentiel. Et l’étude de préconiser toute une série de mesures dans les domaines législatif, financier, d’appui au développement régional et local, etc., souvent également évoquées dans le contexte français.
L’intérêt de ce travail de la NEF ne réside pas seulement dans l’énoncé des recettes pour développer le secteur coopératif, mais aussi – et c’est la raison de l’écho qu’il a rencontré au Royaume-Uni – dans la relation établie entre celui-ci et le système économique global. Le temps est en effet venu, d’après les auteurs, de rompre avec le modèle néolibéral thatcherien, dont la crise économique de 2008 a révélé les failles béantes. Crise à laquelle a succédé une croissance anémique, facteur d’inégalités grandissantes et de tensions politiques accrues entre une petite élite de « winners » et le plus grand nombre, dont le niveau de vie n’a pas progressé. Le changement du modèle de gouvernance des entreprises jouerait à cet égard un rôle capital.

Une entreprise plus démocratique et équitable
L’étude se propose donc d’examiner comment l’entreprise, entendue au sens générique, peut mieux servir les intérêts de ses salariés et ceux de son environnement, devenir plus démocratique et permettre un partage plus équitable de la richesse produite. Cette conception différente de l’entreprise, ouvrant sur une autre économie, veut s’inspirer de l’exemple coopératif, qui a la capacité de jouer le rôle de vecteur de ce changement démocratique de l’économie.
Les auteurs proposent ainsi une mesure spectaculaire : la création d’« Inclusive Ownership Funds » (« fonds d’actionnariat inclusif »), qui évoquent par certains côtés les « fonds salariaux » de la loi Delors du 9 juillet 1984 sur le développement de l’initiative économique, demeurés sans lendemain. Ces fonds établis au profit des salariés et sous leur contrôle, alimentés par un prélèvement annuel sur les profits des entreprises, détiendraient une partie du capital de ces dernières, avec les droits qui y sont attachés. C’est une mesure qui va nettement plus loin que d’autres formes d’actionnariat salarial telles que les ESOPs (Employee Share Ownership Plans), apparus aux États-Unis dans les années 1970, et les Employee Stock Ownership Plans, lancés au Royaume-Uni une décennie après.
Au terme de leur étude, les auteurs concluent que, pour faire face à l’ampleur du phénomène d’injustice économique et à l’absence de démocratie dans l’entreprise, la coopérative est la bonne réponse. C’est le choix que certains feront en adhérant à une coopérative ou en en créant de nouvelles. D’autres, sans doute plus nombreux, se satisferont de bénéficier, grâce à l’instauration des Inclusive

Une proposition reprise par le parti travailliste
Cette proposition de la NEF a retenu l’attention des politiques, en particulier celle du Labour, qui en a fait un élément central, sans doute le plus neuf et le plus radical, de son programme. Fortement médiatisée, elle a tenu la vedette en octobre dernier lors du congrès du parti travailliste. Sans entrer dans le détail du fonctionnement du système proposé par le Labour, on retiendra que toute entreprise de plus de 250 salariés se verra dans l’obligation de transférer sous forme d’actions 10 % de son capital sur une période de 10 ans, à raison d’1% par an, à un fonds salarial (Inclusive Ownership Fund).
Ces actions, détenues collectivement par le personnel, seront incessibles, et chaque salarié percevra un dividende annuel issu de ce fonds, qui pourra aller jusqu’à 500 livres (575 euros). Au total, selon John Mc Donnell, shadow chancellor, quelque 11 millions de salariés, soit 40 % de ceux du secteur privé, sont concernés par la mesure. Un schéma finalement assez proche de celui de la Sapo en France (société anonyme à participation ouvrière), tombée en désuétude mais à laquelle le projet de loi Pacte devrait donner un second souffle. À retenir également : une partie des ressources générées par les Inclusive Ownership Funds servira à financer les services publics, sérieusement brutalisés par dix ans de politique d’austérité des gouvernements conservateurs.
Certes, cette proposition ne fait pas l’unanimité. Si elle est saluée par le mouvement coopératif et par l’Employee Ownership Association (Association pour l’actionnariat salarial), le patronat britannique y est hostile, comme on pouvait s’en douter. En outre, sa mise en œuvre est conditionnée par la victoire du Labour – actuellement au coude à coude avec les conservateurs – aux prochaines élections générales, prévues dans quatre ans mais qui pourraient intervenir avant cette date, compte tenu de la situation outre-Manche. L’exercice confié à la NEF est toutefois le signe que le secteur coopératif croit en son avenir, qu’il a la volonté d’aller de l’avant et que, confiant dans le « co-operative advantage »(l’avantage coopératif), il a conscience des opportunités offertes dans un pays qui, après les dommages causés par une décennie d’austérité et les incertitudes du Brexit, aspire à un changement profond, dont un Labour revigoré (premier parti d’Europe avec 500 000 adhérents), qui vit lui-même une profonde transformation, s’est fait le champion.
L’étude de la NEF explore les voies d’un renouveau et propose un exercice prospectif dont le contenu est riche mais dont cet article ne décrit qu’un seul aspect, considéré comme essentiel : la relation entre l’économie coopérative et le système économique dans sa globalité. L’intérêt de cette approche, outre le fait qu’elle est rarement abordée, est qu’elle conforte la vocation transformatrice de la coopération, souvent évoquée dans les discours mais rarement mise en pratique. Autrement dit, si « la coopérative, une autre façon d’entreprendre » ne doit pas demeurer un slogan, alors les coopératives ne peuvent être indifférentes à la nature du système économique global, ni vivre dans un « splendide isolement ». Elles ont vocation à participer à la construction d’une autre économie, qui conditionne en retour leur succès.

Marcel Hipszman (Marcel Hipszman est administrateur de la Recma)
Étude complète : https://neweconomics.org/uploads/files/co-ops-unleashed.pdf